vendredi 6 juin 2014

le cadavre et la viande

'Sauf à être végétariens, nous mangeons tous du cadavre. L'acte de s'alimenter est devenu suffisamment civilisé pour que 'rien ne rappelle le cadavre dans le produit consommé'.  Dès lors que l'on part du principe que cette condition n'est point naturelle, se pose la question du tolérable et de l'intolérable en matière de nécrophagie. Aujourd'hui la distance est maximale entre nous et le cadavre, mais aussi entre le cadavre et la viande. Reste à voir par quels liens une continuité entre viande et cadavre reste perceptible.


Santé, sacré et gastronomie

Que disent les producteurs de normes au sujet de la place de la viande dans l'alimentation et sa relation avec le cadavre ? 
Les religions monothéistes posent de nombreux interdits alimentaires dont nous retiendrons les deux principaux :  L'anthropophagie "tu ne mangeras point ton prochain" et l'interdiction de consommer de la viande qui n'a pas été saignée et par extension "aucune bête crevée" (dont le sang n'a pas été versé).
Le second "grand" discours est celui tenu par la médecine. Pour la diététique classique, la viande est est l'aliment le plus "restaurateur". Celui qui permet le mieux de fabriquer du pareil, c'est à dire le corps du mangeur. On différencie dans la diététique classique les chairs terrestres pesantes des chairs des volatiles, plus digestes ou du poisson considéré comme la viande la plus digeste- et la moins sanguine-. Cette gradation renvoie non seulement au sang, mais à la couleur de la viande plus ou moins foncée , du blanc au noir (le gibier) en passant par le rouge. La diététique classique rejette tout ce qui, dans la cuisine ou l'alimentation,  pourrait déclencher ou hâter la corruption des chairs ou des humeurs. Elle cherche à protéger le corps de la contagion putride dont sont susceptibles les aliments. 

Sensibilités, sens et dégoûts en cuisine

Tripes Gregory Jacobsen
Avec la modernité ce n'est pas tant le corps mort qui devient intolérable, c'est la putréfaction qui heurte les sensibilités et met en péril la santé publique par ses émanations miasmatiques.  Ainsi au XVIIIème siècle le rejet croissant des odeurs méphitiques et mortifères l'espace public s'exprime dans ces mots de Pietro Verri : " Les chairs lourdes ou visqueuses, l'ail, les oignons, les drogues fortes, les mets salés, les truffes, et autres poisons de la nature humaine ../.. Aucun aliment sentant fortement n'est admis à notre table et toute herbe est proscrite, qui en pourrissant dégagerait une mauvaise odeur; c'est pourquoi les fromages, et les choux de toute espèce en sont proscrits".
Une autre façon de voir les choses est de s’intéresser aux parties, aux morceaux qui évoquent le cadavre. C'est le cas des tripes, des viscères et des abats . ces bas morceaux deviennent dès le XVIIIème siècle la viande du pauvre. La tripe se réfugie dans la cuisine populaire, le mou devient une nourriture animale et seuls subsistent sur les tables distinguées les ris. De plus en plus on désire des morceaux sans référence brutale au vivant.  Mais la tripe, rappelle t'elle le mort, ou le vivant ?

Le faisandé, distinction ou perversion ?

Gibier. Thomàs Yepes.
Avec le faisandé le cadavre entre ouvertement, triomphalement, dans l'art culinaire. La charogne devient délice. Si la prudence diététique est recommandée, si la consommation de faisandé est réservée aux fortes natures en vertu des vieilles peurs humorales, deux qualités en justifient la pratique  ; l'attendrissement des chairs et l'élaboration du goût. L'amateur de faisandé ne se recrute d'évidence pas parmi les "personnes délicates" mais dans une sphère robuste et virile -celle de la chasse et de la conquêt- ce qui n'exclue pas le raffinement de la table et du goût. La limite est ténue entre raffinement et perversion; le fromage , qui n'a rien d'aristocratique, n'est pas jugé avec plus d'indulgence que la viande quand il est "avancé.
Tantôt associé à une nourriture déclassée, donc prolétaire, tantôt à un plat de gourmet, le putréfié rassemble toutes les ambiguïtés et les questions encore sans réponses des rapports entre le cadavre et l'art culinaire.

D'après "La mort à l'oeuvre"  Anne Carol, 'De l'art d'accommoder les restes'.

vendredi 30 mai 2014

Vous êtes mort ce matin...

Depuis que j'utilise les mots 'hépatite' et 'maladie' sur l'Internet je reçois des publicités pour des conventions obsèques. Curieux et prévoyant par nature j'ai cliqué sur quelques lien bien ciblés. Voici  quelques réflexions au sujet des premiers jours  de la vie d'un mort.
Vous êtes mort ce matin. Si la suite vous intéresse... 
cliquez icipuis poursuivez l'article.

Tout finit, et tout commence par un brin de toilette.
Lorsque le cadavre parait, inconcevable et attendu, il faut composer avec l'abjection de la putréfaction. A ce corps qui est le support physique de l'être aimé sans ne plus être personne il faut bien conférer l'apparence de la dignité et parer le mort de signes qui recouvrent le non sens du cadavre.

"La toilette mortuaire,  réalisée par des femmes .jusque dans les années 80, est l’acte par lequel s’opère la séparation d’avec le monde des vivants en donnant à la personne décédée son statut de défunt. Ce rite de passage marque le fait que la personne n’est plus vivante tout en continuant à être rattachée à la communauté des vivants, et qu’elle s’apprête à devenir cadavre. C’est par le temps d’exposition (deux, voire trois jours) puis par la sépulture, sorte de retour à la nature, que le défunt accède au statut de cadavre. 

Autrefois, la toilette funéraire fixait dans une sorte d’image idéale la mort avec le chapelet, la croix et tout ça… Maintenant, nous, on cherche plus à rendre au cadavre les apparences de la vie. La toilette mortuaire est un rite d’accession du défunt à la vie éternelle. La valeur symbolique de la dernière toilette du corps est donc très forte. Progressivement, du fait de la médicalisation de la maladie puis de la mort, la toiletteuse est remplacée par le thanatopracteur, spécialiste des soins de conservation, qui n’intervient plus seulement autour du corps mais dans le corps. Il s’agit ici d’un professionnel rémunéré qui, à la suite d’une formation, est autorisé à exercer. Le sens de la toilette est alors inversé : il s’agit d’une dernière ‘re-présentation’, voire parfois d’un rite de sortie.

Du rite d’entrée et de présentation à l'au-delà on est passé à la célébration d'un rite de sortie du monde des vivants. C’est en tout cas ce que considère l’anthropologue Louis-Vincent Thomas, dans le sens où la nouvelle vie du défunt est celle qu’il aura dans nos mémoires, d’où l’importance de réussir sa ‘sortie’ et de laisser une dernière image magnifiée."

Autres sources.
http://www.videomotion-tv.net/actu-politique/actualite-france/bfmtv/thanatopracteur-un-metier-au-contact-des-morts-0111.html
http://philosophies.tv/evenements.php?id=622 (conférence Mélanie Lemonnier).

Pour ne pas mourir idiot, un site anglo-saxon à connaitre: http://www.orderofthegooddeath.com/


Une série trop mortelle "Six feet under":


 C’est l’histoire d’une famille de croque-morts, les Fisher, dont les deux fils doivent reprendre la société familiale à la mort de leur père. Chaque nouvel épisode débute par un décès plus ou moins surprenant. On retiendra par exemple l’homme qui se fait rouler dessus par son propre 4×4; celui, diabétique, qui succombe à une envie fatale de pêches au sirop ou,
simplement, la grand-mère qui meurt assise sur ses toilettes.
"Six Feet Under est l’équivalent des grands romans français, russes ou allemands de la fin du XIXe siècle. Elle nous dévoile des vies sans destin, qui sont aussi les nôtres. Autour de la famille Fisher, gérante d’une entreprise de pompes funèbres, cette série suit le parcours d’une poignée de personnages dont la mort est le métier. Une dizaine d’individus de la classe moyenne américaine s’aiment, travaillent, et tous cherchent à tâtons un sens dans un monde qui les laisse libres de croire, ou non, à un Salut.
Mêlant des réflexions toujours nuancées sur la sexualité, les genres, la famille, la religion, la politique ou la psychologie, la série d’Alan Ball laisse se refléter nos incertitudes actuelles dans le miroir de la mort afin de dresser le portrait de notre humanité. Œuvre discrète, mais qui a bénéficié d’un succès critique considérable, elle est devenue la matrice d’un nouveau réalisme empathique
."(Tristan Garcia).

http://profondeurdechamps.com/2012/06/01/six-pieds-sous-terre/

Sophie Calle est une artiste de l’intime qui aime utiliser sa propre vie comme objet d’étude.
« Les moments heureux, elle les vit, les malheureux, elle les exploite. » Ses actes sont autant thérapeutiques qu’artistiques. C’est sa manière à elle de lutter contre l’absence, la solitude, la mort. Sophie Calle réfléchit sur la distance à prendre sur les événements de la vie et les rituels que nous inventons pour rendre la souffrance plus tolérable. Pour Sophie Calle, les funérailles sont un thème récurrent, une idée obsessionnelle. Voici ce qu'elle en dit :
« Mes funérailles. Un jour, j'ai demandé a un metteur en scène d'en faire une répétition générale. Je lui ai expliqué que ce serait pour moi le seul moyen de ne plus les imaginer puisque je pourrais les vivre, convier les gens qui, a priori, y assisteraient si je mourais demain. Mon ami n'a pas voulu se prêter à ce jeu

"Je mène une autre mini-bataille, sur mes funérailles. J'ai un projet de sépulture, et le problème c'est que je ne peux pas attendre d'être morte pour le réaliser (par sécurité, j'ai quand même acheté un trou au cimetière de Bolinas, en Californie, mais ça fait loin pour les amis). Alors j'ai tenté d'émouvoir la personne qui s'occupe des espaces verts, dont dépendent les cimetières, mais rien, pas de réponse. Dans ma lettre, j'écrivais ceci : "Je ne souhaite pas simplement acquérir un trou très à l'avance, je veux réaliser ma tombe sur cet emplacement, et j'espère qu'elle fera partie de l'ensemble de mes ‘oeuvres'. Il s'agit donc d'une demande d'artiste et non d'agonisante. Sinon, il ne me restera - à grand regret - qu'à aller mourir ailleurs que chez moi à Paris."

'En fait, mon père et moi avons acheté notre tombe à Montparnasse, il y a quinze ans de cela, et on a pris l’habitude de la visiter tous les ans, avec une bouteille de champagne, pour s’habituer au lieu, faire connaissance avec les voisins.'
"Vous dites la vérité ?"
"Je n'ai aucun contrat avec la vérité."

En savoir plus sur :

Qu'est ce que la mort (du système nerveux, du corps, des cellules)

http://www.lemonde.fr/culture/article/2011/12/30/sophie-calle-cigale-et-fourmi_1623884_3246.html

Inhumations alternatives : 
http://bonne-eau-bonne-terre.over-blog.com/2014/06/le-verger-pour-la-transmutation-harmonieuse-des-defunts-en-permaculture.html

ça peut toujours servirhttp://www.funeraire-info.fr/introduction-transition-et-conclusion-en-ceremonie-civile-47092/

Et pour finir en chanson place à Brassens pour le mot de la fin : 
Les funérailles d'antan.


A consulter aussi : 

samedi 24 mai 2014

Vous avez l'hépatite C !

«Tous les messages de prévention le disent “les toxicomanes ou les ex-toxicomanes doivent se faire dépister,explique le docteur Pascal Melin.
Mais 40 ans après ? Quand on est marié, cadre, qu’on a trois enfants on ne se reconnait pas là dedans. On ne se souvient pas s'y être essayé et qu'on avait vingt ans. Les jeunes utilisateurs de drogues sont suivis aujourd'hui mais les gens de 50-60 ans sont dans la nature."

Les "soixante huitards" sont d'une génération où l'on a testé les drogues sans se soucier des conséquences, conséquences que l'on ne connaissait d'ailleurs pas encore à l'époque (HIV, HVC). Philippe, comme beaucoup de jeunes de cette époque, a expérimenté certaines substances. Puis il a vieilli, s'est marié, a eu des enfants, un emploi de commercial dans lequel il excelle. Il a oublié ses bêtises d'adolescent et de jeune adulte."En 1989, la sécurité sociale m'a proposé de faire un check-up complet. Quand ils ont reçu les résultats, ils m'ont convoqué. J'ai eu droit à tout un cérémonial, le docteur à l'air grave qui m'annonce "Monsieur, vous avez l'hépatite C". J'ai cru que j'étais mort, contaminé, pestiféré."

Et c'est bien ça. La nouvelle qui tombe le futur qui s'obscurcit et le passé qui revient de manière imprévisible. Où j'en suis , combien de temps il me reste, comment annoncer ça, qui ai-je pu contaminer ? comment préserver les autres, me soigner ? avec qui et à qui parler ?
Et si on en parle, difficile de répondre aux questions: Comment as tu attrapé ça ? et c'est contagieux ? car lorsque à la première question on répond qu'on ne sait pas, cela revient à répondre oui à la seconde.

Yolande, elle, a découvert son hépatite en 1990. "après mon premier accouchement j'étais anormalement fatiguée. Le médecin m'a fait dépister. Le verdict est tombé: hépatite C. Longtemps avant j'avais été opérée. L'opération s'était mal passée, j'avais fait une hémorragie et on m'avait transfusée." C'est ainsi que Yolande a été contaminée . Jusqu'à son accouchement elle n'avait jamais rien ressenti. Pour elle l'enfer commence. Dans les années 90 la maladie est mal connue, elle fait peur. "J'ai eu l'impression d'être une pestiférée! Des infirmiers ont refusé de me faire des prises de sang. Mon ancien médecin m'a apostrophé "vous pouvez dire que vous vous êtes piquée! Je me suis levée, et je suis partie. Je ne l'ai jamais revu.
Les témoignages de Philippe et de Yolande montrent bien que le regard porté sur les malades atteints d'hépatite est particulièrement dur.  L'hépatite C c'est un peu le sida du foie, mais grâce à  une communauté active jeune et organisée, le sida a su dépasser la honte liée au mode de transmission. Ce n'est pas le cas de l'hépatite. 
Cela est lié en premier lieu aux différents types d'hépatite existantes et leurs modes de transmission. L'hépatite B est sexuellement transmissible, l'hépatite C se transmet par le sang l'hépatite A par l'alimentation. D'autre part, les hépatites attaquent le foie et les maladies du foie,dans l'inconscient collectif, c'est la cirrhose alcoolique. Ensuite, les hépatites révèlent leurs ravages après des décennies. C'est à dire lorsque les malades sont souvent quinqua ou sexagénaires. On a alors perdu de vue ses 'compagnons de contamination' et on n'est plus à l'âge où l'esprit communautaire et l'activisme est le plus vif. Par son silence et sa lente évolution l'hépatite est une bombe à retardement qui brasse le temps. C'est peut être pourquoi elle se charge d'ignorance, de silences, de dénis, d'histoires, de culpabilités (individuelles et publiques), et de la peur de la contamination. Il en résulte une stigmatisation qui feutre,met en sourdine, étouffe sa médiatisation.
Le fait que la maladie évolue très lentement,  et qu'un même nom 'hépatite' désigne plusieurs formes de transmission et de sévérité (hépatite A, B, C) brouille également l'image dans l'esprit des gens qui ont du mal à situer l'hépatite sur une échelle allant de la crise de foie au sida.
De plus, les modes de transmission de l’hépatite C fractionnent la communauté des 'hépatants': les Tox (usagers de drogues intraveineuses), les Trans (transfusés),  les 'chais pas' (modes de transmission accidentels) . Pour les personnes contaminées par transfusion des enjeux financiers très élevés en ce qui concerne les indemnisations expliquent probablement aussi en partie ce silence.

Voilà donc la réputation de l'hépatite C : une maladie de dépravé, pas volée qui est contagieuse et qui coûte cher à la société. Avec tout ça pas facile d'en parler et de communiquer à ce sujet et donc, pas étonnant que beaucoup se taisent.  
Un jour je serai fier de ne plus avoir honte !

Ozias

"Quand le passé revient de manière imprévisible, ce n'est pas le passé qui revient, mais l'imprévisible.Pascal Quignard.

samedi 17 mai 2014

Cabinet de curiosités

Paul Boche
Camille Hagnier.
Joseba Elorsa.
Agim Meta.
Scott scheidly
Coco Fronsac.
Paco Pomet.

vendredi 16 mai 2014

Sous le signe du sein

)(
La représentation et le culte des seins interroge l'identité féminine, et les places relatives de la maternité et la sexualité. 
La maternité est au coeur du monde rond et charnel des seins. Elle peut être vue à travers de  "l'inconscient collectif" qui célébra de tous temps les déesses mères de Cybelle à la Marianne républicaine en passant par la vierge Marie. La mère originelle est aussi bien celle de l'homme que celle de la future mère.
Entre désir et pouvoir le sein a occasionné de multiples guerres : l'allaitement, le décolleté, les seins nus sur la plage, le silicone... L'intimité féminine, dans ce qu'elle a de plus visible, a toujours été l'enjeu de luttes politiques qui mobilisent tout le corps social. Que les seins soient une arme de séduction, que la maternité leur confère un pouvoir évident ou encore qu'ils aient à affronter l’épreuve du cancer, les seins constituent une ligne de démarcation entre des représentations du désir, de la sexualité, des échanges sociaux qui diffèrent fondamentalement selon que l'on a des seins ... ou que l'on n'en a pas
'Le culte des seins' Caroline Pochon et Alain Rothschild.

Les seins.Quelques images et quelques mots au sujet de cet organe emblèmatique tant fantasmé au cours des siècles.
Sein: Étymologiquement du latin sinus qui évoque ce qui est creux, pli courbe. 
Sybèle. Diane Artémise.
Synonymes & argots : 
Sexy : Appâts, Attraits, Avantages, Devanture, Avant-postes, Devanture
Maternels : Roberts (du nom d'une marque de biberons), Boîtes à lait, bouteilles de bébé, Salle à manger du petit, Tétasses
Ambigus : Giron, Gorge, Jabot, Tripes, Estomac, Pneumatiques

"Du graphe sinueux du sein au graphe de l'inscrit, le sein nous fait signe". André Durandeau, "sous le signe du sein" 1996

Le personnage à seins multiples le plus célèbre de l'histoire est Cybèle, que l'on appelait aussi Diane, ou Artémis - d' Ephèse ou encore Astarté. "La bonne déesse" Cybèle personnifiait la terre nourricière. Les prêtres de Cybèle étaient soumis à la castration. On dit que ce n'est pas de seins, mais de testicules que sa poitrine était couverte. Ils la fertilisaient; elle pouvait enfanter et rester vierge (parthénogenèse). Ce principe a été repris chez la vierge Marie.


Nostalgie de la mère 


Dans l'inconscient collectif les seins sont symboles de la nostalgie de la mère. 
On parle de "sein de l'Eglise", "sein de la Patrie", évoquant l'idée de communauté, de la famille - valeurs "féminines" souvent opposées à la séparation, l'individu et la raison, valeurs "masculines".

Le sein des Maries se dénude au fur et à mesure que l'on passe de l'idéal ascétique du moyen âge à l'humanisme de la renaissance. De pudique les vierges à l'enfant deviennent des vierges allaitantes à la renaissance.

Tout au long de l'histoire comme dans nos représentations le sein ballotte entre maternité sexualité et politique. 

Allaitement :
"Le coït trouble son sang, par conséquent le lait (..) Il engendre mauvaise odeur au lait et qualité vicieuse , telle que nous sentons exhaler des corps de ceux qui sont en rut et échauffés en l'amour et acte vénérien". Ambroise Paré 1585

"J'ai perdu deux ou trois enfants en nourrice., non sans regrets mais sans fâcherie." Montaigne 1572

"Et le sein énorme pendait, libre et nu, comme une mamelle de vache puissante". Emile Zola. 1885


"Le sein est à la mère, le lait est à l'enfant." Françoise Dolto 1990.
Marianne, le sein politique
Au moyen âge le sein de la Vierge Marie exaltait la religion. Le sein de la renaissance voulait séduire. En 1789, le sein de Marianne est un sein politique. L'allaitement maternel devient une vertu républicaine, un devoir civique, un choix patriotique que l'on oppose à la décadence royaliste et à l'utilisation abusive des nourrices. 

"Toute jeune femme qui déclare qu'elle veut allaiter l'enfant qu'elle porte, et qui a également besoin de l'aide de la nation, aura le droit de la réclamer." Décret de la Convention (1793).

"Dans les années 1920 l'Amérique invente la fête des mères, puis Vichy la légalise. Parce que la fonction maternelle est un pilier de la société et de la force des états, on la socialise. La politique investit le corps de la mère et fait du contrôle des naissances un enjeu majeur." Michelle Perrot (2006).

Montrer ses seins, un geste politique.

Scandale en 1968, à Atlantic City: les féministes du Woman's Lib profitent de l'élection de Miss Amérique pour inciter les femmes à jeter leurs soutien gourges et à se libérer des contraintes patriarcales. Plus tard dans les années 1970 et 1980, le mouvement féministe a lancé de nombreuses manifestations seins nus (à propos de pornographie, sexisme, cancer du sang, sida..)
"Nous disons non à l'idée préconçue qui veut que notre corps appartienne aux publicités, aux concours de beauté etc.. Nous revendiquons notre droit inaliénable de régner sur notre propre corps" Ann Simonton (1980).

Femen  le « sextrémisme »
Afin de leur assurer une certaine médiatisation, les actions de Femen se veulent provocatrices, spectaculaires et empreintes d'auto-dérision ou de moquerie. Les militantes sont notamment connues pour manifester seins nus, ce qu'elles font couramment mais pas systématiquement. il s'agit d'« un nouveau type d'activisme féminin qui est, certes agressif, mais encore non-violent, provocateur mais délivrant un message clair ».

https://www.youtube.com/watch?v=KtaJccvdQ7c



Amazones (a-mazos - littéralement dépourvu de sein -)
Historiquement les amazones étaient des guerrières qui pour tirer à l'arc avec plus d'efficacité se faisaient, disait on ,couper le sein droit. "Dans l'imaginaire grec les Amazones représentaient les forces destructrices libérées quand les femmes abandonnent leur rôle de mères nourricières des hommes et s'approprient des attributs virils" Marylin Yalom (2010).

'Comme les guerrières du mythe grec, les femmes qui subissent une ablation du sein connaissent l’asymétrie de leur corps. Les Amazones des temps modernes sont des femmes qui ont dû lutter contre le cancer, mais pas du tout contre les hommes, fort heureusement !
Elles ont perdu un sein, mais ni leur féminité ni leur humour
http://lesamazones.fr/photos/

Amazone. The Scar Project . david Jay.
'Le corps amazone est tabou dans les pays latins, or la majorité des femmes ne fait pas ce choix, ce que la plupart des gens ignorent. Ne nous trompons pas, la reconstruction est d’ordre psychique, même si pour certaines elle passe par la chirurgie.'

Pour de plus en plus de femmes atteintes par le cancer du sein, le tatouage permet de reprendre possession de leur corps et d'affirmer leur féminité. "Le cancer du sein n'a pas à laisser la dernière marque". 

Under the red dress.(Sous la petite robe rouge).
Après avoir survécu à un cancer du sein, Beth Wanga a décidé de prendre des clichés de son corps meurtri par la chimiothérapie et abîmé par les cicatrices de ses opérations pour les publier sur Facebook. 
Beth Wanga, photographiée par Nadia Masot.
Beth Wanga a perdu une centaine d'amis, choqués par cette photo. Pourtant ses photos ont alors rapidement fait le tour des réseaux sociaux, perçues comme une façon de faire de la prévention contre le cancer du sein.
En avoir ou pas, la question est avant tout celle de l'identité. Rien de plus, rien de moins. 
Sinusoïdalement, Ozias


Jan Saudek
http://www.juxtapoz.com/current/clarity-haynes-the-breast-portrait-project
http://wall-mag.com/2013/12/31/boobies-court-metrage-anime-en-hommage-aux-poitrines/
http://thecreatorsproject.vice.com/blog/gilded-scars-helene-gugenheim

mercredi 7 mai 2014

Le blog : Narcisse sans Echo

Salvador Dali. Narcisse.
Écho était une nymphe qui ne pouvait plus se servir de sa voix, sauf pour répéter les derniers mots qu’elle avait entendus. Un jour, Narcisse se perdit en forêt et dit : "est-ce qu’il y a quelqu’un ?". Écho répondit : "il y a quelqu’un". Narcisse appela : "réunissons-nous" et Écho répliqua : "unissons-nous". Écho tomba alors amoureuse de Narcisse, mais il la rejeta. Le cœur brisé, elle se laissa dépérir, jusqu’à ce qu’il ne reste d’elle que sa voix. 

C'est une chose surprenante que de blogger sur la toile sans que personne autour de vous n'y prête attention. C'est comme si je téléphonais depuis une cabine remplie des gens que je connais. Je veux leur parler, mais ils ne décrochent jamais. Voilà ce que je fais depuis trois ans. Trois ans de blog au cours desquels j'essaie de saisir et de donner une forme à ce qui me fait vibrer, ce qui me questionne, ou ce que je ressens.
Bien sûr les centaines de visites quotidiennes que je reçois sur ce blog me donnent le désir et l'énergie de continuer, mais l'assourdissant silence de mon entourage me fait parfois mal au foie. C'est comme une gêne nauséeuse qui me prend au corps quand je me mets à y penser. 
En effet, si ce qui compte pour moi n’intéresse pas mes proches, cela signifie que ce que je peux leur dire,  et par là ce que je suis, ne présente pas grand intérêt . Mon propos semble inintéressant, ou pas montrable, ou pas racontable ou inapproprié, obscène au sens propre. (l'origine du mot obscène serait le mot latin obscena, ce qui ne peut être montré sur scène).
Pas concernés les proches et en tout cas sans voix. (Non, sauf une quand même - Merci ! -). 
Peut être craignent ils en ouvrant ces pages d'être contaminés par un virus transmis d'un simple clic.
Piero Giadrossi. Installation.
Le premier corollaire de cette indifférence, ou de ce déni, est de tenter de comprendre ce qui de moi compte, ou ne compte pas pour mes proches. Certainement beaucoup de choses et très fondamentales telles que présence, existence et santé. Mais à côté de ça, il semble que ce qui me plait ne suscite pas d'intérèt,  ou n'intéresse pas ceux que je côtoie, ou ne constitue pas un sujet de conversation abordable. Toute cette partie de moi, celle du blog, semble insignifiante ou  pas importante et reste sans écho en tout cas . Bien sûr, ce que je dis n'intéresse pas forcément, et forcément n’intéresse pas tout le monde, mais le fait que autour de moi personne ne soit juste curieux de mes délires (nombreux) ou de mes réflexions parfois intimes m'a montré que  je ne compte pas autant que je croyais et que ce qui est important pour moi ne l'est pas pour les autres. Cette absence de curiosité blesse mon narcissisme à tel point que je n'ai même jamais osé en demander la cause de peur que ...De peur que l'on me réponde je ne sais pas quoi.

Le second corollaire est que si mes proches, bien qu'aimants se montrent dénués de curiosité pour les sujets qui me tiennent à cœur, alors cela doit signifier que très probablement  je présente le même travers à leur égard et de façon plus générale, envers autrui.  L'intérêt , que je ressens naturellement pour mes pensées et les centres d’intérêt qui me sont propres ne doit être en réalité qu'une manifestation de mon narcissisme. Si je fais le postulat que les autres sont - par construction - plus ou moins semblables à moi, cela veut dire que, tout comme eux, je dois me comporter en autiste envers ce qui compte à leurs yeux et générer chez eux des frustrations semblables à celles que je connais et décris ici. Je nous vois donc ni prêts à en sortir, ni près de la sortie !

Bref,  de ces sentiments d'indifférence joints à ceux d'incommunicabilité résulte un tableau plutôt déprimant et un rien désespérant pour ce qui touche la communication  autour de moi. Je me console en me disant que mes proches évitent mes bloggeries  car ils n'ont tout simplement pas envie de parler, ni d'entendre parler de maladie et de mes états d'âmes.
En même temps, me trouvant parfois seul sur le chemin, le sujet de la difficulté à partager l'intime est devenu un de mes 'dadas' et a déjà fait l'objet de plusieurs articles sur emagicworkshop cités plus bas.

Surtout, surtout, merci à vous, lecteurs internautes inconnus ou pas qui découvrez ou qui suivez ce blog  et qui êtes ma raison de continuer.

http://emagicworkshop.blogspot.fr/2013/04/de-la-difficulte-de-partager-lintime.html

http://emagicworkshop.blogspot.fr/2013/01/bonjour-ca-va.html

http://emagicworkshop.blogspot.fr/2013/07/regrets-eternels.html

http://emagicworkshop.blogspot.fr/2013/05/letranger-exprimer-lindicible.html

http://emagicworkshop.blogspot.fr/2012/09/la-metaphore-de-la-metamorphose.html

jeudi 1 mai 2014

Guérir du désir de guérir

Honoré Daumier. Malade imaginaire.
Dans son livre, 'Le patient autonome' et sur France Culture le 16 avril dernier, Philippe  Barrier, philosophe et patient nous parle de son approche de la maladie, de la santé, et de la médecine. Voici ce que j'en retiens.
Nous sommes un corps et ce corps est le témoin et la mémoire du rapport que nous entretenons avec nous-mêmes et avec le monde qui nous entoure. Lorsque nous 'tombons malades' la maladie brise notre équilibre de vie et remet en cause notre rapport au monde et à nous mêmes. Nos emplois du temps comme nos priorités sont changés par les analyses, les visites les interventions, les questions, les résultats.  Notre confiance en nous, en notre avenir sont bouleversés et remis en question. Nous nous trouvons alors désarçonnés et contraints de vivre avec notre pathologie et à découvrir un nouvel équilibre. La première idée qui se présente est de guérir, faire disparaître la maladie et revenir au plus vite à notre équilibre connu de bien portant.  Pourtant, dans le cas de maladies chroniques, longues ou si la maladie nous laisse des séquelles, un tel retour en arrière sera bien difficile, voire impossible.

D'autre part la société et la médecine posent en termes d'impératif moral l'injonction de se soigner et de revenir à un équilibre de 'bien portant'.  Au delà de la perspective de la guérison,  la question de la maladie, et en particulier la maladie chronique,  se pose donc à nous sous la forme d' une crise de notre normalité ou plutôt de notre normativité,  qu'il nous faudra résoudre.
Un équilibre peut se créer dès lors que la norme de 'bonne santé' n’est pas vécue comme une contrainte extérieure, mais davantage comme un appui du dedans, c'est à dire non pas comme une norme imposée de l'extérieur, mais comme une normativité intérieure à établir.
La maladie doit s'intégrer à une refondation identitaire. La pathologie  crée une occasion de se restructurer et permet d'ancrer une identité . Ainsi, la vraie guérison, dans le cas de maladies chroniques ne peut venir que par guérir du désir de guérir, par la production d'une auto-normativité qui nous rend auteurs de nos vies.

L'ouvrage "Le patient autonome" traite plus spécifiquement des rapports entre le patient et son médecin. Philippe Barrier soutient, avec raison, que le patient est le mieux placé pour savoir ce qui chez lui est pathologique. Le savoir médical et le savoir existentiel du patient sont les deux faces de la connaissance de la maladie. Le refus de l'écoute du patient fait passer le médecin à côté de la vraie pathologie.  "Le patient autonome" est un plaidoyer pour une définition par le patient, avec l'aide bienveillante de son médecin, de sa propre norme de santé, lui permettant de repenser la place de la maladie dans sa vie.



Petite bibliographie:
Le Normal et le Pathologique de Georges Canguilhem (publié en 1943, complété 1966)
'Georges Canghilem défend la théorie selon laquelle le pathologique ne peut se définir de manière objective. En effet, il n’est pas possible de comprendre la maladie outre la représentation qu’en fait le malade puisqu’elle est définie par la conscience du malade et non par celle du médecin. La maladie est donc perçue au travers du vécu du malade comme qualitative et l’observation du médecin confirme cette différence qualitative de l’état du patient. Toute modification de la santé est donc à la fois quantitative et qualitative.
Cependant, pour Canguilhem, il n’existe pas d’opposition marquée entre le normal et le pathologique dans la mesure où l’état normal ne peut être considéré seulement par rapport à un milieu donné et que le pathologique est en lui­ même « normal ». Il obéit à sa propre normativité : être malade, c’est encore « vivre », ce qui suppose agir encore selon des normes. La mala­die est alors vue comme « un effort de la nature en l’homme pour obtenir un nouvel équilibre.' 
Canguil­hem considère d’autre part qu’un retour à la norme antérieure d’un état pathologique, à savoir la guérison, est « la reconquête d’un état de stabilité des normes physiologiques ». Or, « aucune guérison n’est un retour à l’innocence physiologique car il y a irréversibilité de la normativité biologique ». Ainsi, « guérir, c’est se donner de nouvelles normes de vie, parfois supérieures aux anciennes », mais jamais identiques.

La blessure et la force de Philippe Barrier (2010).
'L'auteur, principalement à partir de sa propre expérience, analyse le parcours à la fois difficile et enrichissant d une relation complexe à la norme de santé, habituellement étiquetée comme maladie chronique. Il y découvre, au sein des forces contradictoires en oeuvre, des potentialités équilibrantes ou « auto-normatives » qui offrent au malade la possibilité d'une restructuration individuelle positive avec la maladie. Il y voit une opportunité pour une évolution prometteuse vers une dimension intelligemment   «autonomisante », et peut-être moins arrogante, de la relation médicale de soin.'


Le patient autonome de Philippe Barrier (2014)
'La question de l’autonomie du patient ne peut être enfermée dans une alternative stérile entre liberté totale ou, au contraire, tutelle médicale. Le vrai problème et sa solution résident dans la conception de la norme. Cet ouvrage fait l’hypothèse que le patient possède une potentialité "auto-normative" qui le rend susceptible de penser par lui-même sa santé, dans une étroite collaboration avec le médecin. La relation médecin-malade apparaît dès lors comme un enrichissement mutuel. Par une succession de prises de consciences, le patient peut parvenir à une revalorisation de sa vie avec la maladie, qui lui permettra éventuellement de donner une dimension éthique et pédagogique à son « épreuve de la maladie ».'