Abstract : Certains trips psychédéliques sont comme des intuitions ou des expériences de systèmes métaphysiques bien connus de la philosophie. Dans le cadre d'un usage thérapeutique de psychédéliques ces trips sont ceux ayant les effets thérapeutiques les plus bénéfiques. Peter Sjöstedt fait l'hypothèse que l'utilisation des modèles et concepts métaphysiques classiques facilite la description, l'évaluation et l'intégration de l'expérience thérapeutique (ou non) assistée par psychédéliques. La métaphysique étant fondée sur l'argumentation et le raisonnement, le recours aux modèles de pensée métaphysiques (panpsychisme, métempsychose, idéalisme, etc ..) permet de rendre plus intelligible les récits d'expériences, d'ancrer plus profondément l'expérience, de la rendre plus compréhensible, et donc de faciliter l'intégration des psychothérapies assistées par psychédéliques. Pour reformuler, disons que les théories métaphysiques reconnues s'apparentent aux systèmes découverts et ressentis sous l'effet des psychédéliques et que les concepts métaphysiques peuvent servir de modèles aux expériences des voyageurs psychonautes qui tireront plus de contenu et plus de sens de ces expériences.
Dans son article, Peter Sjöstedt commence par définir soigneusement ce qu'il entend par métaphysique, comment métaphysique et mysticisme se complètent et se différencient, et comment se place l'expérience psychédélique par rapport à ces deux types de connaissances.
La Métaphysique s'intéresse à la substance fondamentale de la réalité, c'est à dire les relations entre la matière et l'esprit, la nature du temps, de l'espace, de la conscience et de l'identité. D'après Russel, la métaphysique est une tentative de concevoir le monde comme un tout produite par l'union et le conflit entre science et mysticisme. La métaphysique s'efforce de formaliser nos intuitions sur la nature des choses afin de les rendre intelligibles et convaincantes, mais rien ne peut être démontré car chaque théorie (ex matérialisme/idéalisme) repose sur un présupposé intuitif et invérifiable.
Mysticisme. Le sentiment d'unité du moi et le sentiment d'exister plus intensément se trouvent au cœur de la définition actuelle du mysticisme. Underhill écrit que "le mysticisme est l'art de l'union avec la réalité". H. Leuba, définit le terme "mystique" comme suit : Le terme "mystique" . signifiera pour nous toute expérience considérée par l'expérimentateur comme un contact (non par les sens, mais "immédiat", "intuitif") ou une union du soi avec un plus grand que soi, qu'on l'appelle l'Esprit du Monde, Dieu, l'Absolu, ou autre.
Afin de s'y retrouver parmi les différentes théories métaphysiques qui ont été élaborées en occident au cours des siècles, Peter Sjöstedt a élaboré une matrice ordonnée selon différents modèles ontologiques du monde (pour les colonnes) et par système de croyances (Athéisme, Panpsychisme, Théisme) pour les lignes.
Avec une telle profusion de termes en -isme, on s'y perd un peu c'est vrai.
La ligne en haut de la matrice liste par colonne et en caractère gras les principaux courants de pensée.
Monisme signifie indivisibilité de l'être (tout est esprit ou tout est matière) le monisme s'oppose en cela au
Dualisme qui reconnait l'existence de la matière et de l'esprit. Le monisme spécule que, malgré la diversité de manifestation des phénomènes l'univers entier constitue un seul être. Le monisme peut être matérialiste (physicaliste) , spiritualiste (idéaliste), ou encore neutre.
Quelques explications donc pour aider à s'y retrouver. Les 3 lignes, de haut en bas sont ordonnées par système de croyance. La ligne du haut liste - en petits caractères- les écoles de pensée qui se passent de croyance en Dieu et de transcendance.
En haut à gauche le monisme physicaliste pour qui tout est matière et donc tout peut être expliqué à l'aide de théories empruntées aux sciences dures (ex : la vision thermodynamique de l'évolution -qui m'est chère- est une pensée physicaliste). Cette école de pensée, qui s'oppose au cartésianisme, regroupe de nombreuses nuances. Pour le physicalisme réductionniste les processus mentaux, l'esprit, s'expliquent par la neurobiologie, tandis que les physicalistes non réductionnistes admettent l'existence et la validité de la psychologie. Ainsi, le concept de survenance (émergence de l'esprit et de la conscience à partir d'un certain niveau de complexité du système nerveux) permet d'expliquer le dualisme corps/esprit tout en restant dans le cadre du monisme matérialiste.
Une troisième posture, plus subtile encore est celle du
Monisme neutre selon laquelle le "tissu" du monde n'est ni mental ni matériel, mais est un "tissu neutre" a partir duquel tous deux sont construits». En abandonnant le Sujet le monisme neutre abolit le dualisme du Sujet et de l'Objet.
"Si un lieu se trouve être occupe par un cerveau vivant relié a un œil, une perception
visuelle se produit. Mais la perception n' a pas à être construite comme mettant en œuvre une
relation entre 1'état des choses et un sujet percevant ; une apparence aurait occupe ce lieu,
quand bien même il n'y aurait eu aucun sujet pour percevoir. L'apparence qui se produit
réellement relève d'un type dont les caractéristiques sont déterminées par 1'emplacement et par
les contraintes du medium intermédiaire. Les organes sensoriels et le système nerveux central du
sujet qui perçoit font partie du medium intermédiaire, a égalité avec les ondes de lumière qui se
propagent entre l'étoile et la photographie; il n'y a pas à les considérer comme des organes ou
comme des serviteurs d'un Esprit intermédiaire. Quand l'énergie filtre a travers un medium
cérébral pour produire un évènement perceptuel, le processus révèle les qualités intrinsèques de
1'évènement ; en langage courant, nous disons que 1' aspect qualitatif est « expérimenté par celui
qui perçoit ». D'un point de vue physiologique, l'évènement est identique a un évènement qui se
produit en un lieu situe a l'intérieur du cerveau, et la connaissance qu'un observateur extérieur
peut en avoir se limite a la connaissance de ses propriétés structurelles et causales. Cela est vrai
de toute la connaissance des objets extérieurs que fournissent la science et la perception : elle ne
révèle jamais les qualités intrinsèques du monde, uniquement le « squelette causal» ( Russel 1927, p.
391).
Le
dualisme est la thèse ou la doctrine métaphysique qui établit l'existence de deux principes irréductibles et indépendants, au contraire du
monisme, qui n'en pose qu'un seul. D'après les conceptions dualistes du monde, il existe deux réalités de nature indépendante régies par des principes différents ou antagonistes.
L'idéalisme est une doctrine qui accorde un rôle prépondérant aux idées et pour laquelle il n'y a pas de réalité indépendamment de la pensée. Le monde réel n'existe qu'à travers les idées et les états de conscience. Le monde et même l'être se réduisent donc aux représentations que nous en avons. Il rejoint en ça le solipsisme qui est une Conception selon laquelle le moi, avec ses sensations et ses sentiments, constitue la seule réalité existante dont on soit sûr. Ainsi, pour Emmanuel
Kant "
"J'entends par idéalisme transcendantal de tous les phénomènes la doctrine d'après laquelle nous les envisageons dans leur ensemble comme de simples représentations et non comme des choses en soi, théorie qui ne fait du temps et de l'espace que des formes sensibles de notre intuition et non des déterminations données par elles-mêmes ou des conditions des objets considérés comme chose en soi"L'idéalisme transcendantal est une doctrine d'après laquelle les phénomènes sont envisagés comme des représentations et non comme des choses en soi.
Le transcendantalisme, désigne ici toute « doctrine qui admet des formes et des concepts a priori qui dominent l'expérience » (A. Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, 1912), mais sans mysticisme.
Le réalisme désigne la position qui affirme l'existence d'une réalité extérieure.
Comme on peut le comprendre facilement, tout ça est spécieux et complexe, mais c'est aussi un corpus élaboré permettant de décrire et de partager nos intuitions et nos 'enseignements' avec des mots précis. Les trip reports font très souvent allusion à l'évidence de l'unité du Tout, à la perception de principes premiers animant la substance des choses. La connaissance de la métaphysique permet d'établir une carte des représentations et des intuitions. Mettre des mots sur "l'indicible" rend possible l'échange d'expériences entre psychonautes, mais aussi avec les philosophes et les théologiens. En cela le recours à la matrice de Peter Stöjstedt participe à légitimer l'expérience psychédélique et à lui redonner toute sa valeur intellectuelle.
Ozias
Traduction de l'article en français (cliquer sur 'plus d'infos' ci dessous)