vendredi 9 décembre 2016

la loi du marché

Le sofosbuvir (commercialisé sous la marque Sovaldi par la firme américaine pharmaceutique Gilead Sciences est une molécule, développée par Pharmasset comme médicament pour le traitement de l'hépatite C.
La firme californienne
 Gilead a racheté Pharmasset en 2011 pour 11 milliards de dollars tandis que les coûts de développement de la molécule de Sofosbuvir sont eux estimés à 62 millions de dollars. Excellente affaire donc pour Pharmasset, mais aussi pour Gilead qui a déjà vendu pour plus de 30 milliards de dollars de Sovaldi.

Aux USA, le prix d'un comprimé en 2014 a été fixé à 1000 dollars, ce qui fait revenir la cure de 12 semaines à 84 000 dollars. En France la cure de 12 semaines coûte 41 000 € par patient (novembre 2014). En 2014-2015 les dépenses publiques de traitement de l'hépatite C s’élevaient en France à 1.3 milliards d'Euros. 
Le prix de vente n'a donc rien à voir avec le coût de développement. Il est établi par négociation entre les états (rembourseurs) et le laboratoire pharmaceutique qui définissent un "prix socialement acceptable".
Dans ces négociations, les labos pharmaceutiques menacent les états de pénurie de livraison, de délocalisation des activités et jouent sur les remises accordées. Les états eux décident de l'autorisation de mise sur le marché, du déremboursement des médicaments, (le Royaume Uni refuse de rembourser si les prix sont trop élevés), et  disposent même de la possibilité de casser juridiquement le brevet pour ouvrir le marché aux génériques. Ainsi, en Algérie, les laboratoires Beker produisent un générique du Sofosbuvir commercialisé 30 fois moins cher mais ce générique est illégal en France où Sovaldi est protégé par brevet jusqu'en 2024.

Les prix exorbitants sont justifiés par la financiarisation de l'industrie pharmaceutique et non par les coûts de développement (environ 15% du Chiffre d'affaire) , ce que dit bien Eric Baseilhac de Gilead "L'innovation thérapeutique vient de la capitalisation. Pour pouvoir investir les firmes doivent donc avoir des niveaux de rentabilité élevés" En d'autre termes, les firmes pharmaceutiques prennent les systèmes de remboursement pour des vaches à lait pour le plus grand profit de leurs investisseurs. 
Le prix du médicament est le prix que le système social est capable de payer. Sachant qu'en France  l'enseignement post universitaire est financé à plus de 90% par les labos pharmaceutiques on sent que les lobbys sont omniprésents et que le système n'est pas prêt de changer sans une forte pression sur l'industrie pharmaceutique. 
Sources :
http://www.arte.tv/guide/fr/068399-011-A/vox-pop  (début à 7mn)

Autre cas intéressant, celui du Victrelis introduit en 2011 dans les tri-thérapies qui ont précédé l'arrivée du Sofosbuvir : http://www.liberation.fr/societe/2014/06/03/merck-attaque-pour-mauvais-traitement_1032966
http://hepatites.net/index.php?name=PNphpBB2&file=printview&t=22766&start=0

mercredi 30 novembre 2016

Vanités

La peinture de Vanités est un genre particulier de nature morte qui se développe au XVIIe siècle, particulièrement dans la peinture hollandaise à l'époque baroque.
Les Vanités représentent la vie humaine au moyen de motifs symboliques destinés à mettre en évidence son inconsistance et sa fragilité. Les vanités disent le caractère transitoire de la vie et sollicitent la capacité des objets à matérialiser des symboles. L
es objets représentés sont des allégories de la fragilité et de la brièveté de la vie, du temps qui passe, de la mort. Leurs compositions se présentent comme un amoncellement de vains trophées au milieu desquels la figure de lʼhomme est absente même si le symbole du crâne rappelle, dans une ambiguïté volontaire, la fragilité de lʼexistence humaine.
Il s’agit de donner la vision parfaite scrupuleuse de la réalité concrète que l’on imite fidèlement. On recherche le sens de la perfection dans le rendu du velouté des fruits ou l’exécution de gouttes de rosée dans un constant souci de l’effet décoratif, du rendu émouvant des objets les plus simples.  La représentation dʼobjets quotidiens favorisait alors lʼexpression des connaissances picturales les plus raffinées, dont la vérité plastique sʼalliait aux sentiments très humains de la vanité.



Melchior de Hondecoeter

Rachel Ruysh
Les méditations sur les vanités du monde recouvrent un large ensemble de représentations dont les lignes de force sont lʼexposé malin et provocateur des richesses et des biens terrestres, de la sensualité, des plaisirs et du jeu face au nécessaire dépouillement et à lʼacceptation spirituelle de la destinée.
La vanité dans la peinture est tour à tour une méditation, une expression fascinée et obsessionnelle de la beauté naturelle, un art dʼagencer les formes et les objets, une technique sublime. 
Aujourd'hui la Vanité est devenue, certes, une réflexion sur la mort, mais avant tout sur la vie: sa brièveté comme sa beauté. Le sujet de la Vanité n’est ni la mort, ni la vie mais la transition entre l’une et l’autre qui, elle, s’inscrit dans le temps.
Performance marina Abramovic
Olya. Vanité (2018)

Dimitri Tsykalov
*
Nicolas Rubinstein


Gerhard Richter

samedi 19 novembre 2016

Précis de médecine imaginaire


Eric Demelis.
Les maladies circonspectes

Emmanuel Venet est un psychiatre lyonnais né en 1959 qui exerce à l'hôpital  du Vinatier. Pour moi c'est surtout un auteur que je découvre avec bonheur. Son "Précis de médecine imaginaire" est un essai de poétique des maladies. Emmanuel Venet tente ici de "rendre à la médecine la part de poésie qu'elle rechigne à assumer". Exemple :

Cancer:
Où qu'on se tourne on rencontre des gens qui ont le cancer ou qui l'ont eu. C'est d'autant plus accablant qu'il est difficile de dialoguer avec eux: l'échange frivole prend des allures de refus, le propos grave parait presque mortel. Au bout du compte, on n'est pas mécontent quand les cancéreux se cachent ou réduisent leurs relations à la plus simple expression, bonjour bonsoir, ça atténue les scrupules. Reste qu'on devine les nuits d'inquiétude et les pensées testamentaires, la terreur du passage et la conscience cosmique par quoi on tente de se consoler de sa brièveté. Au fond, le cancer fait accéder à la pleine conscience de la vie, c'est à dire de l'absurdité et de la dissipation de tout - et sous cette lumière, même les plus beaux souvenirs ressemblent à des collusions fortuites entre la matière et soi.
Je dois mon initiation au cancer à une tante Marie, visitée vers l'âge de six ans à l'hôtel Dieu. Dans le dortoir incroyablement haut de plafond, elle n'était pas très différente d'elle même, ses mèches grises bouclant sur l'oreiller, le teint peut être un peu plus pâle que d'habitude - mais je n'aurais rien remarqué par moi-même. On chuchota qu'elle n'en avait plus pour très longtemps, ce qui me parut farfelu jusqu'à ses funérailles, un matin de neige à Sainte Foy-L'Argentière.
Malgré les progrès de la science, le scénario reste souvent identique: un symptôme anodin, des examens médicaux, le mot cancer qui retourne un sablier devant le malade, lequel se ressemble encore mais nul ne sait jusqu'à quand. Il en découle que vous-même, le supposé bien portant, pourriez être colonisé en douce et que ce même calvaire vous attend peut être dans le repli de votre avenir. Il faut alors un énorme effort de lâcheté pour se laisser reprendre par l'obstination à vivre, retrouver la paix intranquille des jours ordinaires.
Le cancer signe une forme d'arrogance biologique: des cellules, échappant à leur condition, accèdent à l'immortalité. Dominé par leur toute puissance, l'organisme perd une à une les batailles qu'il livre, et il lui faut souvent mourir pour tuer l'adversaire. Punition ou victoire, la mort des cancéreux nous écrase de trop de symboles et de trop peu de sens. Alors on parle du défunt, de son courage, de ses goûts, de ce qu'il aurait voulu faire de son bref parcours terrestre - et l'on prierait volontiers Dieu pour le salut de l'âme s'il ne partageait avec le cancer les mêmes attributs et les mêmes effets."

Vous voyez, c'est réussi, j'aime et je recommande

Ozias

vendredi 11 novembre 2016

Indésirable

Autoportrait à 18 ans
Dimanche 17h, il pleut. Désœuvré, j'ouvre les albums photo, je tourne des pages. Souvenirs...
Là je suis jeune, les enfants petits, les parents pas encore âgés. Ce sont les photos de  ma vie d'adulte, différentes de celles de mon enfance qui sont des images pleines de repères simples et rassurantsPage après page les vacances, les anniversaires et les fêtes s'enchaînent et se succèdent.  Instants d'une vie. Là c'est moi, et mes proches ici.
J'étais plus jeune, plus orgueilleux, plus fort et ambitieux avec la vie devant moi. Je revois mes désirs de l'époque, mes plaisirs mes envies. 
D'un côté j'envie et je regrette la force que j'avais et de l'autre je trouve mes efforts d'alors égoïstes et vains.  Aujourd'hui je peux mesurer leurs effets secondaires, voir ce que j'ai raté,  tout ce temps passé à travailler, ou me distraire et pas assez à écouter. Le pire c'est que c'est que je n'ai même pas changé.
Des souvenirs souriants, rien de méchant, juste le sentiment d'avoir vécu tout ça trop vite, sans réfléchir. Vague regret de ce que je n'ai pas fait, vague tristesse de ne pas avoir deux jeunesses pour tout recommencer. 
Aujourd’hui est moins riche de futur et plus usé qu'hier, triste comme une chanson de Gérard MansetNaturellement le passé et le futur sont sources de souffrances, mais en plus avec le temps même les désirs que portent notre corps se fatiguent et se marquent de cicatrices. Vaguement honteux de tant de nostalgie, on se sent alors comme fané, avec la vie derrière soi et indésirable à ce qui l'est. 

Pour rire un peu de cette "fa(r)ce B de l'existence", quelques dazibaos de Nicole Garreau* tout frais pêchés de sa page Facebook.

Pour savoir où Elle en est, [Elle] se fait sporadiquement passer des tests de sénilité : tenir debout sur un pied, réciter la table de sept, nommer les sous-préfectures du Lot-et-Garonne...
Aujourd'hui ça va. Et demain ? Demain est une chimère ; inutile de s'en tracasser.
24/10/2016

"Copines" Véronique Tissot
[Elle] est passée du côté sénile de la force, ça y est : c'est mesurable à l'œil nu, elle a les oreilles et les pieds qui grandissent. Au secours.
20/10/2016

[Elle] est en train de nettoyer DERRIÈRE l'espèce de meuble de la cuisine, alors que c'est un endroit où elle ne va habituellement jamais et que personne ne lui a mis un pistolet sur la tempe pour l'obliger à le faire.
C'est cela, la déchéance, jeunes gens : pendant des décennies on se prend pour l'égérie d'un tableau de Delacroix, et on finit à moitié gâteuse à faire des trucs chelous sans aucune raison valable.

 09/10/2016

[Elle] lit quelque part que va être instauré en France un fichier biométrique étendu « afin que les honnêtes gens ne puissent plus se faire dérober leur identité » (sic). Elle elle voudrait juste dire que s'il y a vraiment des ceusses qui veulent devenir vieilles, moches et pauvres à sa place, ça ne la gêne pas, hein.
04/11/2016


 Allez va ! bonne fin du monde chez vous aussi !

http://nicole.garreau.over-blog.fr/2016/11/photographie-n-34.html

mardi 1 novembre 2016

La mort en Suisse

Molécule de Pentobarbital
Penser à sa propre disparition : un égoïsme de Toussaint.

La Suisse, contrairement à la plupart des pays européens, n'a pas de juridiction claire en matière de suicide assisté. L'aide au suicide n'y est pas poursuivie dans la mesure ou elle s'incrit dans un but d'aide à une situation désepérée, et sous couverture médicale.

Conditions générales
: Pour pouvoir bénéficier de l'AS (suicide assité) il faut, en principe, respecter cinq conditions:

  • Le discernement;
  • Une demande sérieuse et répétée;
  • Une maladie incurable;
  • Des souffrances physiques ou psychiques intolérables;
  • Un pronostic fatal ou une invalidité importante.
Entre la demande de suicide assisté et sa mise en pratique, il y a une période «de grâce». Un temps durant lequel le patient peut régler ses affaires et dire adieu à sa famille et ses amis. Après, une fois la date définitive fixée, le patient doit réitérer sa volonté, afin de bénéficier d'une solution diluée d'environ 10 grammes de pentobarbital de sodium qu'il doit ingérer lui-même.

Parmi les 6 organisations suisses* "de droit à la mort" seule l' association Dignitas semble accueillir les ressortissants français. La devise de Dignitas est "Vivre dignement, mourir dignement" et en effet, le prix de l'opération est de quelques centaines d'Euros pour l'adhésion, plus une dizaine de milliers d'Euros pour le grand voyage). 

Pour info, il faut savoir que près de 80% des personnes ayant obtenu la prescription médicale se sont accordé un temps de réflexion ou ont préféré mourir de mort naturelle. Mais elles se sont donné ainsi une certaine sécurité psychologique, car la mort demeure ainsi un choix disponible, si elles la désirent. 
D'après les données* ci dessous, Dignitas et StrebeHilfe  même si elle ne sont pas les associations regroupant le plus grand nombre de membres semblent les plus 'efficientes' puisque le taux d'AS annuel est de 26/1000 pour Dignitas et de 100/1000 pour SterbeHilfe. Cela peut être lié à une clientèle étrangère qui concerne des cas plus déterminés. (Les taux d'AS pour les organisations réservées aux résidents suisses  semblent  tourner autour de 5 ou 6/1000).

L'étude "Suicide tourism: a pilot study on the swiss phenomenum" (parue en juin 2014) note dans une comparaison aux statistiques de 1992 que  de plus en plus des maladies telles que les troubles neurologiques ou rhumatismaux, sont invoquées pour demander le droit à une mort digne (Cf Table3**). Autrement dit, de plus en plus de 'patients atteints de maladies non fatales ont recours au suicide assisté.  A noter toutefois que cette statistique peut être biaisée par des patients cumulant plusieurs maladies, comme par les 'touristes' étrangers qui ne peuvent attendre la phase terminale ou voyager à l'étranger devient impossible.


* Table1 : Associations suisses de droit à une mort digne.

** Table3 : maladies invoquées (période 2008 -2012)

Mise à jour 2022


Sources, aller plus loin : 

http://agora.qc.ca/thematiques/mort/dossiers/dignitas
Ouvrage récent (2020) et bien documenté sur le sujet : 

vendredi 14 octobre 2016

Traitement de substitution

illustration Lady Pocket

Traitements de substitution, prescripteurs et addicts :  quoi qu'on puisse en penser, voici ce qu'en disent des 'pros' de la région grenobloise d'après trois extraits d'articles parus dans le Journal Français de Psychiatrie #43 : "l'addiction est elle devenue notre norme ?"

Gisèle Bastrenta (Psychologue clinicienne, CSAPA CHU de Grenoble, Psychanalyste
p76 

" Nous assistons actuellement à la mise en place de plateformes médicales ayant pour mission de prescrire la bonne molécule aux "addicts" et de les orienter vers des services sociaux ou autres pour ce qui concerne le reste. La nomenclature des addictions est infinie pour la simple et bonne raison que cette idéologie médicale repose sur un monde sans manque. La traque des plaintes et des souffrances humaines à simplement éradiquer relance la course des prescriptions de psychotropes et donne le jour à des files actives de zombies "stabilisés". ../...Des médecins et des psychiatres sont aujourd'hui formés comme prescripteurs et s'en tiennent à cette approche pharmaco-neurobiologique. Alcooliques, toxicomanes, obèses, anorexiques se voient proposer les bonnes molécules par ces prescripteurs avisés des dernières avancées en la matière. Le face à face et le jeu de miroir entre le prescripteur qui "sait" sur la bonne jouissance et le patient qui en veut et en redemande laisse inaugurer quelques conséquences pathétiques autour de ces liens à teneur de maîtrise, voire passionnels.
.../... Les toxicomanes, ces êtres réduits à la passion de l'objet de jouissance, voire à la jouissance du plus de jouir, risquent de donner du fil à retordre à des prescripteurs agissant dans le même champ qu'eux. Les liens de maîtrise autour des objets de jouissance dans cette pathologie peuvent s'illustrer par des rapports sado-masochistes où le maître du jeu sera celui des deux qui pourra aller jusqu'au bout, c'est à dire jusqu'à la mort ." "...ou pire".


Jérôme Lebaud (Psychiatre, psychanalyste, Ancien responsable du CSAPA du CHU de Grenoble
p61

"Nous, [les psychiatres] ne sommes plus très certains de l'attitude transférentielle de ces patients [toxicomanes sous traitement de substitution], tant ils sont volatils ou bien utilitaires. Nous sommes, à cet endroit, le moyen pour qu'ils puissent bénéficier de leur traitement. Il y a bien sûr une certaine avidité. Ce n'est pas la même chose selon l'endroit où l'on va s'adresser. Ce rapport aux médicaments est d'ailleurs très particulier et m'amène à aborder la problématique de la substitution. J'ai pu connaître la période juste avant l'arrivée de la substitution, puis ces produits, substituts, produits d'émergence. Ceux-ci ont eu un effet indéniablement salvateur. Cela a permis à bon nombre de personnes de se tirer d'affaire, d'éviter de mourir trop tôt.  On peut entendre cela comme un progrès sur la plan sanitaire et sur le plan social, mais peut-on dire que c'est forcément une bonne chose ?
Pour beaucoup, cela les plonge dans une routine, une certaine tranquillité, voire une absence au monde. 
Bien sûr, ils vivent, ils communiquent, ils ont une famille, ils travaillent, mais l'expression de la question du désir reste lettre morte. 
J'ai parfois l'impression d'avoir à faire à des organismes vivants, mais pas à des êtres vivants."



Yasmina Cheguettine/Céline Romeuf (Psychologue clinicienne/Educatrice spécialisée CSAPA Hauquelin, CHU Grenoble-Alpesp91

"La réduction d'un sujet à la manie des toxiques a pour conséquences un mode relationnel basé sur la manipulation des autres et l'expression du manque. S'ils sont encore aptes à communiquer, ces patients sont asservis à un monde de signes, d'urgence (pulsionnelle) et de tricherie.../...
Le caractère régulier des soins, le rythme des rencontres visent à introduire de 'l'automaton' (pour Lacan, l'automaton est le support de la parole et du discours, ce qui tamponne la rencontre avec le réel, qui limite la jouissance), à remettre en route le défilé des signes, court-circuité par une rencontre avec le réel, celle de l'objet-drogue. Pour des sujets très fragilisés, cet 'automaton' doit être particulièrement étoffé, tissé. 
La prise de toxiques induit peu de tolérance à l'angoisse. .[...] Court-circuité, le corps n'est plus un lieu d'éprouvé. Et tout accroc signifie le retour de l'angoisse : modification minime du traitement, oubli par le médecin de la mention 'non-substituable' sur l'ordonnance ou encore décalage dans le versement des allocations... 
.../... Les liens de la parole avec une secrétaire, une assistante sociale, un éducateur, un psychologue, un médecin peuvent amener des patients à orienter progressivement leur parole non plus de manière compulsive mais structurée et bornée par l'éthique des professionnels."

Bref, "Frères humains, qui avec nous vivez, n'ayez point contre nous vos cœurs endurcis" 

Tranche de vie.

Je fréquente cette pharmacie grenobloise depuis des années où j'achète régulièrement mes 28 jours de traitement dosé à 2mg. Le traitement (buprénorphine 2mg) est toujours prescrit par le même médecin, au même dosage (2x2mg/j). Samedi dernier, j'attends mon tour sagement en avançant de case sanitaire en case sanitaire. Muni de mon ordonnance, je me rends au guichet où m'accueille une vendeuse que je ne connaissais pas. Je lui passe la prescription, elle retrouve mes coordonnées dans son ordinateur et commence à me demander si j'habite toujours au même endroit. Puis, lisant l'ordonnance, elle remarque que le nombre de comprimés journaliers est bien mentionné, mais que le dosage n'y figure pas. Elle m'annonce alors qu'elle ne peut pas me servir, car le dosage doit être mentionné. Je lui fais remarquer que depuis des années je prends le même dosage : 2mg. Elle vérifie sur sa machine, constate que l'on m'a vendu dans la même pharmacie la même prescription un mois ou deux avant, me déclare qu'on aurait pas dû le faire et refuse de me servir. Elle me demande alors de retourner chez le médecin (fermé le samedi) et de lui faire rajouter le dosage en signant et datant la correction ou mieux, de faire une autre ordonnance. J'essaie de négocier, discrètement, elle me demande si c'est mon médecin traitant qui a fait l'ordonnance, et ne se prive pas de faire des remarques à son sujet. Par contre, elle acceptera me servir de l'alprazolam tout en remarquant que pour ce médicament non plus aucun dosage n'est indiqué sur l'ordonnance.
Bref, je repars, dépité. Mal à l'aise. Week-end de manque*.
Deux jours après, de retour dans la même pharmacie, avec la même ordonnance, mais une autre vendeuse je suis accueilli et servi Normalement et même sympathiquement. Comme quoi, jugements moraux et subjectivité sont toujours là quand il s'agit de TSO.

Tranche de vie2
Même pharmacie, nouvelle péripétie. D'abord il n'y a pas de problème. Puis, il n'y a que 2 boîtes de princeps disponibles, le reste est en générique. Je dis OK pour le générique. "Je vais faire ma sortie" m'annonce la préparatrice. Elle revient, puis m'annonce qu'il n'y a plus de générique et seulement une boîte de princeps. Elle me demande si je peux passer prendre le restant de l'ordonnance le lendemain. Je dis que je n'habite pas sur place et que ça me pose un problème de repasser sous peu. Elle me lâche alors "Vous n'avez qu'à en prendre moins" !!! M'enfin !!!, qui détermine le dosage ? Elle ou le médecin ?
Finalement comme la "Sortie" est faite elle me fait payer le tout et me remet un "ticket de promis" pour les 7 boîtes restantes que je devrai passer prendre le lendemain. Je repars dépité, et pas très confiant. La nuit, je dors mal car je ne pense qu'à ça. La préparatrice a t'elle bien fait passer la consigne ? Mon "ticket" sera t'il valable demain ? Quelles  parades si et si ... ? Quelles solutions "au cas où" ?
Le lendemain, je me pointe à la pharmacie. Longue file d'attente, j'en fais des caisses pour que, lorsque ce sera mon tour, je sois servi par la pharmacienne que je connais, qui me connait et avec laquelle il n'y a jamais de problèmes. 
Finalement, un autre guichet, s'ouvre, c'est mon tour. Je présente mon ticket, et direct, on me ramène mes 7 boîtes comme promis, sans question ni attente. Merci. Merci.
Comme quoi, faut pas plaisanter avec les opiacés. Lol !

*Manque. 
Le manque porte bien son nom. Parce que d'abord , on ne le sent pas, à part mentalement, une envie tenace dans un coin de la tête. Puis après la journée s'étire sans fin, ni appétit et plus rien ne vaut rien. Le jour, physiquement pas grand chose de violent à part des éternuements fréquents, mais cette impression pesante de peser 300kg un mal de dos tenace.  Pas d'énergie.
La nuit, impossible de dormir. Sensation du corps comme chiffonné, qui aurait besoin d'être repassé. Tensions entre les épaules. Dans les membres comme des fils que l'on tire par ci par là, sporadiquement et qui piquent et déchirent quand poussent leurs aiguilles. Je tourne et retourne dans mon lit sans trouver le sommeil. 




CSAPA: Centre de Soin Accompagnement et Prévention Addictions
PS: les passages soulignés le sont par mes soins.


Intéressant !http://vih.org/20160128/trois-ages-du-palfiumr-histoire-dun-produit-ambivalent-france-1957-1999/137718

https://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/TabTSO190308.pdf




Un forum spécialisé

Une thèse de médecine à propos de la prescription. A lire avant de choisir un médecin prescripteur

Un article intéressant sur le déficit en sérotonine parmi une cohorte d'usager de suboxone

Histoire et réflexions sur la Buprénorphine

TSO et anesthésie

mercredi 12 octobre 2016

Drogues: vers la fin du tout répressif ?

La guerre contre la drogue est ouvertement déclarée depuis plus de cinquante ans. La convention de 1961 établit un système universel pour limiter la production, la distribution et la consommation de stupéfiants à un usage uniquement médical et scientifique. Elle est axée sur les substances à base de plantes comme la coca, le cannabis et le pavot.
Dix ans plus tard en 1971, une deuxième convention étend ce système à plus de 100 substances psychotropes.
La dernière convention, en date de 1988, renforce l'obligation des sanctions pénales des états pour réduire la production, le trafic et une consommation en hausse continue. L'approche est basée sur la prohibition et la répression est mise en oeuvre par des organismes internationaux tel l'ONUDC, le CDS et l'OICS, puis relayée par les états.

Le 24 Mars 2016 la commission  globale des politiques en matière de drogues composée d'ex-présidents du Brésil, du Portugal, du Chili, de la Colombie, de la Pologne , de la Suisse et de personnalités telles que Kofi Annan  publie "Ending the war on drugs". La commission dénonce l’échec de la politique de contrôle répressive des drogues.
En effet, le nombre d'usagers des principales drogues (cocaïne, opiacés, cannabis) a augmenté de 36% entre 1998 et 2013 alors que la population mondiale a augmenté de 20% (chiffres ONU).

Second constat, en raison de la criminalisation de leur pratique, les consommateurs mettent leur santé en danger: achat de drogues frelatées, injections à risque facilitant la transmission des virus. Ainsi, 30% des injecteurs russes seraient infectés par le VIH. De plus le nombre de victimes 'collatérales' (règlements de compte) et d'incarcérations ne cesse d'augmenter.

La commission rappelle aussi le coût de cette guerre que Georges Sorros  résume en disant "War on drugs is a 1Trillion$ failure". et encore, ce chiffre ne concerne que les USA !

Dernier constat d’échec : la prohibition a favorisé la prolifération des organisations mafieuses et criminelles. Le  chiffre d'affaire annuel du trafic de drogue est estimé à 300-400 milliards.

La commission Globale de Politique en matière de drogues suggère donc de nouvelles approches moins destructrices, moins coûteuses. Elle recommande notamment la dé-criminalisation pour usage et possession
Elle recommande également aux états d'intervenir sur les marchés pour les organiser au lieu de les laisser aux mains des trafiquants.

La publication de  "Ending the war on drugs" a eu lieu en mars dernier, juste avant la session extraordinaire de l'assemblée générale des nations unies sur les drogues. Evènement rare puisque la dernière assemblée remontait à 1998.
Finalement, même s'il laisse entrevoir la possibilité d'un début d'ouverture, le résultat des courses est bien timide : 
« Nous devons fonder nos décisions sur la recherche, les données et les preuves scientifiques. Et nous ne devons pas hésiter à adopter de nouvelles idées et de nouvelles approches, même si elles peuvent parfois remettre en question les hypothèses traditionnelles » (Déclaration de M Eliasson -vice secrétaire des nations unies).

Patience, patience ...


http://www.lemonde.fr/addictions/article/2016/03/01/drogues-l-onu-prone-la-fin-du-tout-repressif_4874332_1655173.html

http://www.globalcommissionondrugs.org/wp-content/uploads/2012/03/GCDP_WaronDrugs_FR.pdf

http://sos-addictions.org/blogs-dexperts/sex-drugs-and-rockn-roll/prohibition-des-drogues-le-debut-de-la-fin

Sources : "Le système de contrôle des drogues peut il changer ?". Stéphanie Loridon. JFP 43. Erés 2016.

http://www.internetactu.net/2017/01/11/drogues-nouvelles-recherches-nouveaux-produits-et-nouveaux-risques/

Perspectives socio-anthropologiques sur l'usage des drogues