mercredi 15 janvier 2014

Shunga, en gros et en détail

Au temps du Japon ancien, les livres pour rire, livres d'oreiller, livres de printemps , etc ...étaient des recueils d'estampes destinées à réjouir les amateurs, ou à faire l'éducation des jeunes mariés avant la nuit de noces. On les trouvait dans les librairies, on pouvait en commander aux colporteurs, ou encore les emprunter à des libraires ambulants qui pratiquaient le prêt à domicile. Des peintres réputés comme Utamaro (1753-1806) ou Hokusai (1760-1849) ont produit de véritables chef-d’œuvres du genre.
Mon compteur me dit que vous aimez bien les 春画,  alors, je ne vous fais pas un dessin...














vendredi 10 janvier 2014

Cinquante ans de cinéma X

Pas le temps d'écrire cette semaine. Relâche cause trop de travail, et donc fatigue. 
Cadeau pour les curieux, une brève histoire du cinéma X. D'après un article signé Ismène de Beauvoir paru sur :
 http://www.gaite-lyrique.net/gaitelive/l-esthetique-du-x-l-insoutenable-legerete-de-la-chair


Entre la moustache fournie et les touffes de poils symboles du porno à papa 70’s et le pubis glabre des dernières générations, que s’est-il passé ? Les faits sont là : les poils sont tombés pour permettre le développement de plans chirurgicaux. Mais le poil n'est que la partie visible des évolutions de la carrière du cinéma porno . Visite en cinq étapes de cinquante ans de films X.

Les 70’s : Emmanuelle

Les années 70 sont l'âge d'or du film érotique grand public : les infections sexuellement transmissibles ne sont pas d’actualité et affirmer sa liberté sexuelle est un acte quasi-militant. Sorti en 1974, le film de Just Jaeckin reste LE film érotique français, à défaut d’être le plus inspiré. Femme de diplomate venue rejoindre son mari à Bangkok, Emmanuelle porte élégamment le sautoir de perles et fait du squash. .../...

Les 80’s : Café Flesh 

Dans le monde post-apocalyptique du réalisateur Stephen Sayadian, l’humanité est partagée entre la poignée d’êtres humains ayant conservé la capacité d’avoir des relations sexuelles et les autres, contraints de se contenter du spectacle offert par les premiers dans des cabarets tels que le Café Flesh. En opposant les Positifs aux Négatifs, cet OVNI sorti en 1982 prophétise les angoisses à venir du VIH. Comme la musique et les costumes des performeurs sur la scène, le décor du café-théâtre est sombre et volontairement grotesque. L’ambiance est dérangeante et la tension érotique se construit moins autour d’images explicites que du malaise qui grandit. Parce que comme l’explique l’un des personnages principaux : « la frustration est un job à plein temps », Café Flesh pourrait bien être la plus belle réussite du genre.

90’s : Le Parfum de Mathilde 
Extrait du « Parfum de Mathilde » http://www.youtube.com/watch?v=flvk_ljyBuQ

Marc Dorcel, cuvée 1994. Le Parfum de Mathilde ressort le thème classique de l’initiation de la jeune femme pure, Eva, jeune ingénue – Oserions-nous dire idiote ? Oui, sans trop hésiter. – soumise aux désirs de son riche époux, Sir Remy. Reposant sur le fantasme de la bourgeoisie perverse, les décors et costumes se veulent élégants. Balance ton château, ta Rolls-Royce, tes costumes de soubrettes à la mode sex-shop de Pigalle, tes dentelles blanches et tes voilettes. Le tout répond parfaitement aux échanges d’acteurs aussi crédibles qu’une troupe de collégiens répétant une pièce de Molière. 

2000's : Youporn, le règne de l’ultra-réalisme
Si les années 90 ont été marquées par le développement du style gonzo, la fin des années 2000 en est la consécration par sa diffusion urbi et orbi via les porntubes. Du sexe comme à la maison ou plutôt comme ça pourrait être à la maison, voilà ce qui nous est promis. Pas de décors-type si ce n’est celui du pavillon middle class de la girl next door fantasmée (ou de sa mère, ou de son frère en fonction des envies de chacun). En résulte une propension à la médiocrité notamment symbolisée par la présence récurrente de teintes beiges saumonées, apanage de la classe moyenne internationale. La stimulation ne passe plus par l’exotisme ou le fantasme de la classe bourgeoise mais par l’ultra-réalisme de la literie Ikea et des plans chirurgicaux.

2010’s : La femme avenir de l'homme  ?
Tournage d'un film d’Erika Lust (crédit photo : Daniel Escale)
Si l’avènement des porntubes a signé l’élargissement du public à la population féminine, l’industrie jugera-t-elle utile de répondre à la demande d’un public que l’on dit plus sensible au détail ? .../...L’avenir du film érotique pourrait résider dans le développement de productions de réalisatrices comme la suédoise Erika Lust qui s’applique à satisfaire les désirs du public féminin..../...Si les décors ont le mérite d’être moins déprimants que dans la plupart des autres titres du genre, Lust propose un porno bavard – parce que les femmes ont besoin de communiquer – englué dans les clichés de l’esthétique « alternatif » de la pin-up tatouée et piercée. L’universalité de l’attrait des femmes pour ce type d’esthétique restant à démontrer, des aménagements pour le futur de l’esthétique du porn semblent encore nécessaires.

Article d'Ismène de Beauvoir

samedi 4 janvier 2014

Chiens de comptoir, chienne de vie.

Blandine Jeanroy
Un soir d'hiver, Porte d'Ivry. 1982.
Accroché au comptoir du café  raide comme un piquet, le client tombe les Picons-bière comme Stakhanov  le charbon. Au pied du comptoir et au bout de sa laisse, son chien, un loulou de Poméranie âgé au poil usé au cul rougi, vomit des pâtés gris et nauséabonds en attendant l'heure de la fermeture....Piétinements.  Le maître boit  et le chien rend.

'Ils sont des milliers, ces chiens de comptoir, patients comme des moines privés de Jésus ! On leur a promis des longues promenades et des tours dans le square, et des pipis dans l'herbe, et des cacas dans la rosée des terrains vagues, combien de dizaines de fois les ont ils entendus ces mots magiques, 'Chérie, je descend le chien !' Ou bien, 'Je sors le chien pour qu'il prenne l'air !' La queue frétille, le coeur s'affole, le chien de comptoir saute sur la poignée de la porte et s'entortille dans le rideau fixé contre la porte blindée pour étouffer les bruits du couloir ! Et dans l'escalier encore, c'est la grande fête, et je saute, et j'aboie et je me trémousse, et je glapis de bonheur! Ce bonheur si grand qu'il fait pipi sur le premier pneu venu ! il sent si bon, ce pneu déjà plein de pipi des autres chiens de comptoir, une merveille de pneu à pipi !
Quelques mètres seulement et hop, la barre à gauche, direction le bureau de tabac ! déjà ? Tant pis!  Le chien de comptoir aime le comptoir sur lequel s'appuie son maître, il le vénère comme son maître le vénère, c'est un grand mur étrange qui sent l'anis, la bière, le cornichon et le pâté. Il n'y a que ce mur sur toute la terre pour sentir aussi bon que ça ! .../...
C 'est là que les [chiens] ombres des hommes se rencontrent, au pied des comptoirs, en forme de chihuahua, teckel, loulou, caniche, terrier, à l'heure du café le matin, à l'heure de l'apéritif du soir.../... Ils sont un petit monde au pied du monde, une petite ville au pied de la ville, la strate inférieure de nos vies de consommateurs quand nous nous montrons comme en coupe. 
Le chien de comptoir, voilà le plus parfait mariage entre le coeur de l'animal et le foie de l'homme !'

Wahouu ! Santé !

(extraits de 'Chiens de comptoir' Michel Lafon, 1996. textes Jean-Marie Gourio, gouaches Blandine Jeanroy)

"L'été, je le monte sur le comptoir et il boit un peu de bière mais seulement la mousse, un jour il était bourré, il a mangé un dé."




"Je sais pas ce qu'il a, Il est lunatique. Il est con comme Alain Delon."




"Il mange quoi, le vôtre de chien ? 
-Des restes avec du riz, comme les chinois"





"Le vrai chien de garde, c'est le berger allemand, c'est des chiens extrêmement sérieux, on pourrait leur ouvrir des livrets de caisse d'épargne..."



"Pour l'aveugle, le chien c'est ses yeux, sauf que c'est des yeux qu'il faut descendre faire pisser..."


"C'est un bon chien d'attaque, il attaque la sieste à midi."


"Avec mon chien, on pense pareil."


"Il est plus intelligent que moi."


"L'avantage du chien, c'est que c'est un animal."




"C'est un chien de chasse mais il aime que la pêche."


"Vous pouvez lui montrer le pape à la télé, ils'en fiche, lui c'est la promenade qui est sacrée".


"Un chien se débrouille très vite tout seul, alors qu'un gosse, tous les ans c'est un cartable neuf.
- Même si l'ancien était encore bon ?
- Même."



"Elle sent l'eau de cologne, le tabac froid et le vin blanc, évidemment, elle la porte toujours dans ses bras !"



La vie secrète des chiens
http://www.dailymotion.com/video/x19i65b_la-vie-secrete-des-chiens_animals

mardi 31 décembre 2013

Facebook

Il n' y'a pas tant de monde que ça sur Facebook,

Il n' y a que plusieurs individus déjà murés

Qui s' emportent 

Et ne sont ouverts... qu' enfermés.

@faC. (Fred Charlet)

Facebook
 'Nous' sommes tous connectés. 
"Bip ! ", "Wizz !", "Ting !" : famille, amis, amours, collègues, tous nous sollicitent, incitent, excitent au travers des mails, des SMS, des réseaux sociaux. Ces nouveaux moyens de communication ne sont pas neutres. Non seulement ils sont devenus addictifs, incontournables, mais ils modifient aussi nos rapports, et nos relations. Personne ne nous oblige à acheter ou à allumer ces outils, mais celui qui coupe, son smartphone son ordinateur ou sa tablette devient invisible.
Le 'réseau social' de Facebook est construit sur un modèle, un dogme libéral avancé. Selon Mark Zuckerberg lui même, Facebook "change la norme sociale".  En fait,  Facebook transforme  nos relations en devenant une place de  marché, la bourse de nos relations.  Tout est tracé compté, tout se compte en accès, clics, likes, et  followers. Avec Facebook, et les TICs (Technologies de l'Information et de la Communication) chacun aujourd'hui se transforme en un petit 'centre de profit' personnel. Ainsi nos amis deviennent des 'fournisseurs relationnels' : cet ami m'a déçu ? Pas grave, j'en ai deux cents autres sur mon profil facebook. J'ai promis à un ami de venir à sa soirée, mais en fait j'ai un autre plan ?  pas grave, je lui envoie un SMS d'annulation pour 'contrainte de dernière minute'.


Narcissisme
Facebook, c'est Narcisse 2.0. 
'Tranquille avec son miroir tel le schtroumpf coquet à rajuster sa fleur sur le bonnet, Narcisse était autonome. peinard, il avait sa source d'eau claire où il s'admirait jusqu'à tomber amoureux de son image puis dépérissait d'amour de lui même pour laisser place à une fleur, un narcisse. 
Depuis Facebook, l'eau claire de Narcisse 2.0, c'est les autres.
Qui m'aime me suive!  Notre quotidien, nos images, nos humeurs, doivent être validés par nos amis'. Je m'expose, je pose 'm'extime' , tu me follow ils me likent.


Cauchemar
Parfois je cauchemarde du temps prochain où nos relations numérisées seront prises en charge par un Algorithme 'évolué' de Facebook (ou de ses concurrents). Dans le souci de capter toujours mieux 'le flux' de ses clients-utilisateurs, ce logiciel se muera en un répondeur intelligent une 'cyber-answering machine' autonome, universelle mais conformiste jusque dans l'excentricité. 
Le réseau social deviendra pourvoyeur d' "Amis" partageant nos centres d'intérêt, un générateur de témoignages d'amitié, infos, de sites ciblés, de commentaires pertinents. Facebook peut tout , fait tout pour cerner nos profils, nos goûts, nos intentions d'achats et attirer nos clics. Achats en ligne, police de la pensée, anticipation du crime, éradication de la solitude et lutte antiterroriste tout à la fois. Alors que nos outils (GPS, CB, PC ...) nous surveillent, Facebook nous voit. Facebook sait, satisfait, et fait tout pour nous capter le plus possible. Nous voilà tous penchés sur nos écrans, à la recherche de nous même, ou plutôt à la recherche de nos mêmes. Fini alors le temps des commentaires incompréhensibles, ou hors sujet, et nos querelles de clics et de claques. Facebook sera là pour mettre le web en parfaite et infinie intelligence avec nous même, dans un vide sidéral, et pour l'éternité du monde. Dans ce meilleur des mondes dominé par une pensée globale: 'Big Brother takes care'.

Et pourtant.
Pourtant, Facebook m'a permis de rencontrer des artistes, des  personnalités vraies (pas des 'people') que je n'aurais pu connaître autrement et des amis avec qui je me sens de profondes affinités. Avec qui je peux m'exprimer et échanger plus facilement qu'avec mes proches, trop proches et coincés comme par un effet d'ascenceur - [ou effet porc-épics de Schopenhauer*]-  (vous savez, quand les portes de l'ascenceur se ferment, les conversations s'éteignent car les occupants sont trop proches les uns des autres). 
Je continue donc à plaisanter, commenter, poster, l' œil toujours guettant le petit globe rouge de vos notifications. 

Merci, et à l'année prochaine,

Ozias
Pour finir, on écoute une chanson,  'Accepte moi'  par Ringo 1974.

Crédits: "Facebook m'a tuer". Alexandre des Isnards. Thomas Zuber.

lundi 23 décembre 2013

Poèmes au foie.

Marcus. Brainless tales.
En ces temps de l'avent, ces temps de ripaille ou peut être d'excès, une pensée pour notre foie.  Une ode au foie, préparée par un maître en terme de poésie et aussi de bien vivre :
Pablo Neruda.

Ode au foie :

Ami modeste et organisé. Travailleur profond, permets que je te donne l'aile de mon chant. Le coup d'air, le bondissement de mon Ode. Elle naît de ton invisible machine et prend son vol dans ton infatigable et secret moulin, entraille délicate et puissante toujours vive et obscure. Tandis que le cœur sonne et s'arroge la partition de la mandoline, à l'intérieur toi tu filtres, distribues, sépares, divises, multiplies, graisses, fais monter et recueilles les filets et les grâces de la vie.

Pièce ultime, mystère sous marin et mesureur du sang tu vis plein de mains et d'yeux dans ta secrète chambre d'alchimiste, scaphandrier de la plus périlleuse profondeur de l'homme, toujours caché là. Sempiternel dans l'usine, silencieux. Et tout sentiment, ou  stimulus accru dans ta machinerie a reçu quelques gouttes de ton infatigable machination. A l'amour tu as ajouté le feu ou la mélancolie.
Qu'une petite cellule fasse erreur, qu'une fibre se gâche dans ton travail et l'aviateur se trompe de ciel, le ténor s'effondre en un sifflement, l'astronome perd une planète.

Comme ils brillent là-haut, les yeux sorciers de la rose, les lèvres de l’œillet matinal ! Comme elle rit dans la rivière, la demoiselle !
Et en bas, c'est le filtre et la balance, la délicate chimie du foie. La cave des changements subtils. Personne ne le voit ou le chante, mais dès qu'il vieillit, que son mortier s'use, adieu les yeux de la rose... L’œillet a vu flétrir sa denture et la demoiselle s'est tue sur la rivière.

 Austère partie ou tout de moi même, aïeul du cœur, moulin d'énergie, je te chante et te crains comme si tu étais juge maître étalon. Implacable fléau de la balance. Et si je ne puis me livrer pieds et poings liés à ta pureté, si l'excessive ripaille et le vin héréditaire de ma patrie ont œuvré à perturber ma santé ou l'équilibre de ma poésie, c'est de toi mon arc obscur que j'attends justice.
J'aime la vie. Sois fidèle. Travaille !
N'arrête pas mon chant.


P.Neruda.

pABLO nERUDA. Odes élémentaires. Traduction: depuis " l'Or et la Patate".

Mis en musique en 2010, par l'Or et la Patate:
https://myspace.com/loretlapatate/music/song/ode-au-foie-68513171-75254522

En supplément, pour ceux qui en redemandent, quelques mots de Pablo Neruda encore, et toujours à propos du foie, celui qui se mange, le foie gras.
Bon appétit et joyeuses fêtes.

Ozias

Ô Foie Gras

"Ô toi, foie d’ange, ton doux parfum est une harpe sur nos palais, ton harmonie joue des cymbales sur nos langues, et nous traverse tout entier d’un long frisson de volupté”.

vendredi 20 décembre 2013

L'amour, pour ou tout contre ?

L'amour, la passion, le désir sont pour moi les moteurs de la vie et ce que j'ai vécu de plus de plus fort, de plus humain et de plus beau. Petit retour sur images en six temps.

1. Coup de foudre
Le coup de foudre, cette "surprise de l'Amour" est elle le produit des romans à l'eau de rose ou peut elle changer notre destin ? Tout se joue ici au niveau des regards. Languide, racoleur ou calculateur, nous savons distinguer ce que signifie un regard, mais nous ne savons pas vraiment comment nous le savons. 


Sven Richard Berg. Soir d'été nordique (1900)

Bien que les bras de l'homme soient croisés d'une manière défensive sur sa poitrine, les deux personnages tournent leurs corps l'un vers l'autre.
Lui avance le pied vers elle, elle a un mouvement de hanche dans sa direction. Ils refusent de se regarder mais ils ne voient pas d'avantage le soleil couchant vers lequel ils ont tourné la tête. C'est leur posture qui traduit leurs véritables sentiments et le  coucher de soleil nordique est une puissante invitation des sens.




Fra Filippo Lippi. XVème siècle.

Amour, regard, scandale et peinture.
Cette image de la transgression amoureuse nous montre un échange de regards qui trahit un amour défendu en un temps et une situation où cette conduite crée le scandale. 

Fra Filippo Lippi est un moine et peintre de la renaissance. 
En 1458, âgé de 50 ans, Fra Filippo Lippi peint pour la chapelle du couvent de Sainte Marguerite du Prato près de Florence. Pour réaliser un portrait de la vierge, ou de sainte Marguerite, il fait poser une jeune carmélite 
 Lucrezia Buti (20 ans). Il la séduit, puis l' enlève peu après avoir découvert qu'elle était enceinte de lui. 
Les deux amants finirent par obtenir l'autorisation de se marier . Ils eurent deux enfants. 
Leur fils, Filippino Lippi deviendra un peintre non moins célèbre que son père.





2. Flirt.
L'étalage public de la passion est très souvent considéré comme indécent, contraire aux bienséances et choquant pour ceux qui en sont témoin bien malgré eux. Loin des regards indiscrets, l'enlacement passionné s'achemine pas à pas depuis les préliminaires jusque à l'acte proprement dit. 
Dans les années cinquante, les magazines étaient pleins de conseils sur le "jusqu'où ne pas aller trop loin". Conseils dispensés dans le cadre de ce que les anglo-saxons nomment le "petting" c'est à dire toute activité sexuelle allant au delà du baiser et s'arrêtant avant la pénétration. Sous ses formes poussées ("heavy petting") on expliquait aux adolescentes que l'homme pouvait toutefois perdre tout contrôle de soi.

Théodore Géricault. Couple s'embrassant et femme allongée. XIXème siècle.
Hans von Aachen. Couple au miroir.

3. Nudité 
Enfin, le moment est venu de faire tomber le dernier voile. L'effeuillage une fois achevé, reste le nu. L'érotique et le sexe ayant toujours été au centre des préoccupations des hommes, il est naturel que le nu soit l'un des thèmes les plus répandus du monde de l'art. Mais si la nudité absolue était la norme courante, combien serait elle ennuyeuse !

"Je lui conseillai de se coucher, ce qu'elle accepta : je lui servis de femme de chambre : elle n'avait point fait de toilette et bientôt ses cheveux épars tombèrent sur ses épaules et sur sa gorge entièrement découvertes. Je l'embrassai : elle se laissa aller dans mes bras, et ses larmes recommencèrent à couler sans effort. Dieu ! qu'elle était belle! Ah ! si Magdeleine était ainsi, elle dut être bien plus dangereuse pénitente que pécheresse.

Les liaisons dangereuses. Pierre Choderlos de Laclos.

François Boucher. Odalisque brune. 1745.
4. Préliminaires
De tabous indécents qu'ils étaient, les préliminaires amoureux sont devenus partie intégrante et souhaitable des rapports sexuels. A la fin de la deuxième guerre les études scientifiques sur la sexualité fleurirent. Les colonnes "vie pratique" des magazines soulignaient à qui mieux mieux l'importance des préliminaires amoureux et toutes sortes de guides décrivaient sans rire comment s'y prendre. Une sexualité scientifique et chaste en contraste absolu avec les attitudes que révèlent la littérature et les arts orientaux. Malgré les recherches sur les zones érogènes et la découverte du Viagra, la majeure partie de ce que nous savons sur l'excitation sexuelle était déjà connu depuis des siècles. 
Zichy. Couple engagé dans les préliminaires. 1901.


Fuseli. Gunther et Brunhilde (1907)
Martha Bayer Erlebacher. Embrasement.







5. Coït.
Pendant la renaissance, les mythes antiques ou les récits bibliques permettaient d'établir une distance entre les scènes représentées et l'expérience quotidienne, ce qui prêtait à l'oeuvre une séduction plus intellectuelle que sensuelle. Jupiter et Olympe fournissait des motifs très utiles dans ce contexte. quand à Léda et le cygne, il permettait même de devenir assez explicite. Au XVIIIème siècle, on mit au point tout un dispositif élaboré qui permettait à l'observateur averti de comprendre sans peine la signification d'objets en apparence innocents : un étui à violon pour signifier la vulve , ou un panier renversé pour indiquer la perte de virginité. Dans les dessins ou en peinture et en particulier dans la photographie, le détail explicite est considéré soit comme frôlant la pornographie, soit comme relevant du manuel des pratiques sexuelles.
Léda et le cygne. François Boucher. 1740.
Zichy. Bons souvenirs.

6. Postlude.
A l'issue de cet étrange acte physique par lequel le désir se satisfait, rien n'est plus comme avant. Le tableau de William Hogarth intitulé 'After' illustre bien ces bouleversements émotionnels et les changements dans les relations qui se produisent en si peu de temps. 

L'aventure débouchera t'elle sur une romance, une tragédie, une farce ...?
A vos amours,

Ozias

William Hogarth. Before.

William Hogarth. After.
F. Scott Hess. 'Chère Katie' 1996.

Domenic Cretara. Amants. 1996.
Crédits : LE SEXE. L'érotisme de Cranach à Koons. John Williams. Evergreen. 1999.



samedi 14 décembre 2013

Le goût des mots.

A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes:
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,

Golfes d'ombre; E, candeur des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;

U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides
Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux;

O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges:
- O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux ! -


A. Rimbaud


Françoise Héritier s'interroge sur la langue, le "goût des mots" et  le sens que chacun donne leur donne. Le sens caché des mots. Son propos est de montrer  que notre corps, notre histoire sont au centre du langage. 
Par exemple, Rhododendron évoque pour elle un dragon bouffi avec trop de pattes et pas assez de feu. Une sorte de bouledogue ventru et boudiné qui, du bout de sa laisse, menace mais ne mord pas.  Miracle, est un mot qui racle, et c'est un peu dur à avaler... etc.
Ainsi, chacun peut mettre derrière les mots quelque-chose qui lui est propre. Au cours d'une conversation, d'un dialogue, c'est comme si on parlait la même langue mais que chacun entende une langue différente. La Tour de Babel est en nous constamment et partout. 
L'artifice du langage figé dans un code est fait pour nous permettre de vivre en société, ensemble. Cependant, même si on cerne au plus près une vérité collective, il existe à chaque fois des glissements qui font que ce n'est pas la même chose qui est entendue. C'est une erreur de croire que l'on se comprend toujours tout intégralement et en totalité.  Il y a toujours un espace flou qui tient à la singularité de chacun, à son histoire, à son éducation, à ses souvenirs. Jamais personne n'entendra la même chose que quelqu'un d'autre.
Chacun se glisse dans les mots à sa manière. en étant confronté à une double nécessité. Celle du bonheur d'être seul à donner tel sens à tel mot et également celle du bonheur à entrer dans les vieilles pantoufles que sont les lieux communs, les expressions toute-faites. Avec les vieilles expressions je sais qu'on va se comprendre de suite. Avec le sens que je donne aux mots, je conserve l'intégrité du paysage en moi.
Donner de la valeur à ce que l'on a vu, dit, aimé comme à ce qu'on est en train de dire, c'est se reconnaître la capacité à se créer un monde intérieur. La 'parlure', ce dialogue que nous entretenons avec nous même, avec nos mots, nous donne conscience d'être et estime de nous.

Alors, Goûtons les mots, aimons les et aimons nous  !

Ozias
http://www.franceinter.fr/emission-lheure-des-reveurs-francoise-heritier
PS: Françoise Héritier est professeur honoraire au Collège de France. Elle a été directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales et présidente du Conseil national du sida. 

"Je suis entouré de mots dans une forêt bruissante où chacun se démène pour attirer l'attention et prendre le dessus, retenir, intriguer, subjuguer, et chacun aspire à ces échappées belles. Comme si on les sortait de leur prison. On entre dans le domaine de la joie pure. Tous ces mots qui dansent, se déhanchent, se désintègrent, ondulent autour de moi et m'entraînent dans la grande ronde de la fantaisie première. Avec le bricolage surprenant et inattendu des figures qui surgissent alors, on entre dans le grand capharnaüm de la liberté créatrice où tout est permis. […] En jouant avec les mots, je recrée la jouissance de Babel, comme le fait l'enfant qui ne veut pas choisir entre son désir de comprendre exactement ce qui se passe et ce qui se dit autour de lui, et la tentation constante du merveilleux ésotérique auquel il est seul à conférer un sens. […] Les sons sont porteurs de sens. À nous d'en tirer parti pour créer un monde qui nous confronte sans cesse à la myriade étonnante de corrélations compliquées qui s'établissent entre les sons, les couleurs, les saveurs, les odeurs, les touchers, les perceptions intimes et viscérales, les émotions et la pensée consciente. Nous avons ce trésor à explorer plus avant et nous le laisserions en friche ? On ne sort pas du jeu. On l'alimente, comme le feu." (Françoise Héritier, Le goût des mots, éditions Odile Jacob)

Pour illustrer, juste après, un texte de COLETTE, « Le curé sur le mur », La Maison de Claudine, 1922.

À huit ans, j'étais curé sur un mur.
Le mur, épais et haut, qui séparait le jardin de la basse-cour,et dont le faîte, large comme un trottoir, dallé à plat, me servait de piste et de terrasse, inaccessible au commun des mortels. Eh oui, curé sur un mur. Qu'y a-t-il d'incroyable? J'étais curé sans obligation liturgique ni prêche, sans travestissement irrévérencieux, mais, à l'insu de tous, curé. Curé comme vous êtes chauve, monsieur, ou vous, madame,arthritique.

Le mot «presbytère» venait de tomber, cette année-là, dans mon oreille sensible, et d'y faire des ravages. « C'est certainement le presbytère le plus gai que je connaisse... » avait dit quelqu'un. Loin de moi l'idée de demander à l'un de mes parents : « Qu'est-ce que c'est, un presbytère ?» J'avais recueilli en moi le mot mystérieux, comme brodé d'un relief rêche en son commencement, achevé en une longue et rêveuse syllabe... Enrichie d'un secret et d'un doute,je dormais avec le mot et je l'emportais sur mon mur. «Presbytère ! » Je le jetais, par-dessus le toit du poulailler et le jardin de Miton, vers l'horizon toujours brumeux de Moutiers. Du haut de mon mur, le mot sonnait en anathème : « Allez ! vous êtes tous des presbytères ! » criais-je à des bannis invisibles. Un peu plus tard, le mot perdit de son venin, et je m'avisai que « presbytère» pouvait bien être le nom scientifique du petit escargot rayé jaune et noir... Une imprudence perdit tout, pendant une de ces minutes où une enfant, si grave, si chimérique qu'elle soit, ressemble passagèrement à l'idée que s'en font les grandes personnes...
- Maman ! regarde le joli petit presbytère que j'ai trouvé !
- Le joli petit... quoi ?
- Le joli petit presb…
Je me tus, trop tard. Il me fallut apprendre - « Je me demande si cette enfant a tout son bon sens… » - ce que je tenais tant à ignorer, et appeler « les choses par leur nom... »
- Un presbytère, voyons, c'est la maison du curé.
- La maison du curé… Alors, M. le curé Millot habite dans un presbytère ?
- Naturellement. .. Ferme ta bouche, respire par le nez... Naturellement, voyons…
J'essayai encore de réagir... Je luttai contre l'effraction, je serrai contre moi les lambeaux de mon extravagance, je voulus obliger M. Millot à habiter, le temps qu'il me plairait, dans la coquille vide du petit escargot nommé « presbytère… »
- Veux-tu prendre l'habitude de fermer la bouche quand tu ne parles pas ? A quoi penses-tu ?
- À rien, maman...
…Et puis je cédai. Je fus lâche, et je composai avec ma déception. Rejetant le débris du petit escargot écrasé, je ramassai le beau mot, je remontai jusqu'à mon étroite terrasse ombragée de vieux lilas, décorée de cailloux polis et de verroteries comme le nid d'une pie voleuse, je la baptisai « Presbytère », et je me fis curé sur le mur.