Voici un aperçu d'un recueil de photos signées Martin Usborne 'The silence of dogs in cars'.
Pour Martin Usborne, dans nos voitures qui isolent, dans leurs vitres qui reflètent, les chiens sont des images de nos solitudes, de nos abandons. Le chien abandonné dans une voiture est également une métaphore du silence dans lequel, la plupart du temps, nous enfermons et réduisons au silence nos côtés étrangers ou obscurs.
"Il est difficile de vivre parmi les hommes où le silence est impossible." (F.Nieztsche)
"l'homme se sent parfois comme un animal sans compagnie" (J.Zeboulon)
La plupart du temps, quand on est malade, on est doublement coincé : par la maladie et par la médecine. Qu'un malade commence à contester la manière dont il est pris en charge et il sentira sa douleur et son isolement. Au mieux, on lui rétorquera qu'il est agressif parce qu'en temps que malade, il se sent victime d'une injustice et qu'il n'existe nul autre endroit où adresser sa colère. Au pire, s'il est fumeur, buveur [ou autre], on lui signifiera que ce qui arrive est de toute façon sa faute. Ce rapport de pouvoir qui coud la bouche à la contestation est profondément malsain. Comment oser contester ceux qui ont le pouvoir de nous guérir ? Alice Rivieres Manifeste de Dingdingdong.p78
Dingdingdong est un collectif de patients d'artistes et d'universitaires constitué autour d'une maladie génétique rare; la maladie de Huntington parfois aussi appelée 'danse de Saint Guy'. Le point de départ et le pari de Dingdingdong c'est que la maladie est une occasion de faire pousser de la pensée. Le collectif Ddg crée en 2013 (je crois) se voue entièrement à la création d'une pensée vivante et opérationnelle sur le problème Huntington. Au delà du cadre de cette maladie la démarche subversive de Dingdingdong s'applique à d'autres maladies et intéresse plus largement encore tous les 'NBP (Non Bien Portants). Ce collectif ne vise ni l'information basique autour de la maladie, ni la collecte de fonds pour améliorer le sort des malades. C'est un rassemblement d'individus animés par une même tension vitale à produire de la pensée innovante à partir de l'expérience de cette maladie.
L’enjeu est de produire et rassembler les connaissances liées à l'ensemble des aspects de la maladie afin d’aider lesusagers – porteurs, malades, proches, soignants – à vivre honorablement leur maladie. Cette ambition contraint à inventer une forme inédite de collaboration entre concernés, entourants, chercheurs (médecine, philosophie, sociologie, histoire…) et artistes (plasticiens, écrivains, chorégraphes…) pour explorer la maladie comme une planète inconnue et trouver les formes narratives à la hauteur pour bien raconter, chemin faisant, cette aventure. S’affranchissant du partage classique entre savoir populaire et savoir scientifique, Dingdingdong a le souci de faire progresser la connaissance en étant particulièrement soucieux de co-produire cette connaissance avec les usagers eux-mêmes et non plus dans leur dos. Dans l’aventure Dingdingdong, la destination importe moins que le sinueux, et heuristique trajet.qui consiste à explorer certaines des limites qui dessinent les contours de notre monde contemporain. Dingdingdong existe pour provoquer une reprise de certaines des manières de penser et de faire qui concernent Huntington autant que d'autres maladies comme Alzheimer, la schizophrénie ou les maladies chroniques en général. Le collectif REV , concerné par la schizophrénie, fournit un bel exemple de la démarche. Ce collectif ne considère pas qu'il regroupe des schizophrènes, mais des 'entendeurs de voix'. Entendre des voix, c'est compliqué, inconfortable et parfois douloureux, ce n'est pas normal mais ça n'implique pas forcément de prendre des neuroleptiques à vie parce que "schizophrène". 'Entendeurs de voix' parce qu'alors cela signifie avoir une compétence que les "normaux" n'ont pas. Cela veut dire aussi que le traitement doit viser à mieux vivre avec cette capacité plutôt qu'à l'éradiquer. Leur question n'est plus : comment je traite ma schizophrénie ? mais : comment je vis mieux avec ma faculté d'entendre des voix ? Pour moi cela recoupe les questions de normalité et de normativité posées par Georges Canguilhem puis Philippe Barrier précedemment évoquées dans ce blog sur le post http://emagicworkshop.blogspot.fr/2014/05/guerir-du-desir-de-guerir.html
Enfin Dingdingdong parle d'usagers, plutôt que de patients ou de malades. Cette distinction est profondément subversive car elle permet « politiquement, de construire une différence entre les associations de patients mis au service de leur maladie telle qu’elle a été définie par les industriels (et, à leur suite, les scientifiques), et les associations d’usagers produisant un savoir propre à propos du paysage de diagnostics, de traitements, de rapports thérapeutiques dont ils sont usagers. .../... Les associations d’usagers pourraient jouer un rôle crucial (…) car elles pourraient devenir capables de changer le problème : d’échapper à la dénonciation toute faite – la cupidité des industries, la faiblesse des « preuves » scientifiques, la crédulité du public – et de mettre en question la machine elle-même, c’est-à-dire ce qui fait tenir ses différentes pièces. »
Extrait de « Usagers : Lobbies ou création politique ? » Tobie Nathan et Isabelle Stengers, Médecins et sorciers, Les Empêcheurs de penser en rond, nouvelle édition 2012. A nous maintenant de jouer.
Cette semaine place à trois artistes plus ou moins connus mais radicalement décalés. Remarquables par l'originalité de leur inspiration, leur sincérité, leur courage, ils ont en commun une certaine mise en scène du "transgenre", de la transgression tout simplement. MAEL LE MÉE
"Mael Le Mée est né en France en 1977. D’un côté, il est scénariste (dessins animés, jeux de rôle, jeux vidéo, bandes dessinées). De l’autre, il développe une pratique artistique pluridisciplinaire, qui va de brancher des légumes sur des ordinateurs à poser des bombes dans des festivals ou à donner des conférences très sérieuses sur des sujets qui n’existent pas encore. Il se propose comme artiste transmédia. « Transmédia », non pas dans l’acception en vigueur d’un procédé visant à décliner un univers narratif sur différents médiums, pour capter l’attention d’un spectateur désormais dispersée sur une multitude de terminaux de consommation (télévision, internet, mobile, etc). Plutôt « transmédia » avec trans- dedans comme dans transgenre, transgression, transfrontalier,transformation, transport, transsexuel, transe..."
Mael le Mée en auto-gastroscopie.
"Il s’intéresse notamment aux rapports entre technologies et corps, aux questions de simulation et à l’esthétique du contrôle. En 2004, l’Institut Benway l’a recruté pour diriger son Service des Relations Publiques.
L’institut Benway, vous connaissez ? Bien évidemment ! Sa gamme d’Organes de Confort l’a rendu célèbre dans le monde entier... Voici maintenant un demi-siècle que l’Institut Benway est le leader incontesté des solutions organiques de confort corporel.
Fournisseur agréé de clients institutionnels et privés, dans les secteurs civil et militaire, l’Institut Benway propose aussi au grand public ses glandes salivaires aromatisées, barrettes de mémoire et autres testicules hallucinogènes. L'institut Benway est reconnu d’utilité par l’Organisation Mondiale de la Santé du Commerce."
Institut Benway. Organes de confort.
"Souvent imités, jamais égalés, les Organes de Confort de l’Institut Benway sont garantis sans rejet grâce aux tests effectués en camps de prisonniers conventionnés avec la Croix-Rouge. Citons aussi les MusiKaments, les Placebos Parentaux, les Bijoux Internes, les Organes de Productivité Industrielle, les Solutions Organiques de Sécurité, parmi l’éventail complet de moyens qu’offre l’Institut Benway aux consommateurs, entreprises et gouvernements pour accéder au progrès corporel sur mesure, et ce depuis cinquante ans déjà !"
STEVEN COHEN Steven Cohen est un artiste, plasticien, performer et chorégraphe sud-africain né en 1962 qui habite aujourd'hui à Lille. Steven Cohen est un narcissique révulsé. Il est à la fois un juif croyant, un Africain blanc et un homosexuel qui aime bien se travestir. A travers ses sculptures extravagantes, ses performances égocentriques et déguisements "osés", Steven Cohen essaye de trouver de divers moyens d'expressions pour traiter différentes questions identitaires, tabou aujourd'hui, comme le judaïsme, le racisme, l'homosexualité et l'identité ethnique. Plus qu'un artiste, Steven Cohen est un grand provocateur. Ses performances sont souvent dans des lieux publiques symboliques (Trocadéro, Mémorial de la Shoah, Ground Zero, Bidonville de Johannesburg, ...) où il se promène souvent nu et déguisé de costumes originaux de sa création.
(Ci-dessus: Steven Cohen dans un déguisement de sa création)
Etoile jaune sur le front, faux cils énormes, bouche noire, crâne chauve maquillé, nudité ou costume extravagant, il fait de son corps une œuvre d'art ambulante qu'il soumet à toutes les épreuves. Sujet et objet, bourreau et victime, triomphant toujours jusque dans les situations les plus dangereuses, les plus risquées. Steven Cohen n'a plus rien à perdre.
Pierre Molinier (1900-1976) est un peintre photographe pervers inconnu de notoriété mondiale. Peintre en bâtiment de profession, Pierre Molinier avait tris passions :"La peinture, les filles et le pistolet". En 1976, il se donne la mort d'un coup de pistolet. Tout au long de sa vie Pierre Molinier a été inflexiblement fidèle à ses passions. Transformiste provocateur, barbare esthète et débauché pervers, pour lui la sincérité de la création était le garant de sa qualité. jusqu'à la fin de sa vie Molinier aura été habité par deux obsessions:"jouir" pour accéder au paradis immédiat de la "petite mort" et "laisser une trace dans l'infini du temps". Pour cela il s'auto-viole, s'auto-fellatione, se s'auto-portraitise infatigablement , à blanc en noir et blanc. De la couture des accessoires jusqu'à la retouche de l'ultime epreuve photographique, Molinier faisait tout lui même. Ce photographe de l'âge de pierre était à la fois modèle, opérateur, accessoiriste n'a pas connu Photoshop. Molinier n'accordait que peu d'importance à la prise de vue. Deux lampes, un lit, un paravent en toile de Jouy, une poire à déclencher suffiront. Tout se joue pour lui à l'exposition, au tirage avec des calques des ciseaux et une mine de plomb. Une affaire de peintre tout autant que de performer que je vous laisse apprécier.
Les nausées ne sont guère agréables mais au moins elles me font prendre conscience de la force des odeurs et de la toute puissance de l'odorat. C'est ce qui m'a amené à m'intéresser ces derniers temps aux parfums, aux odeurs, à l'odorat. En se dressant sur ses jambes l'homme s'est éloigné de la source des odeurs. Le nez reste pourtant le poste avancé de la perception. Comme le souligne l'expression 'à vue de nez', l'odorat est le sens premier. L'odorat est en effet le seul sens où les terminaisons des neurones sont en contact direct avec l'extérieur. Techniquement, la reconnaissance des odeurs se fait grâce au système des récepteurs olfactifs (l'épithélium olfactif contenant les neurones olfactifs) situés dans le toit des fosses nasales. Cette petite zone d’à peine 2 cm2 qui reçoit l’odeur, est une voie directe vers les zones intimes du cerveau. Ensuite, les odeurs sont interprétées dans des régions liées aux souvenirs et aux émotions. L'olfaction est un sens essentiel une part importante de notre génome (environ 5%) est exclusivement consacrée au système olfactif. Au commencement,les odeurs étaient une question de survie, de vie ou de mort. En détectant la présence de molécules soufrées ou ammoniaquées liées à la décomposition, l'odorat permettait d'éviter l'empoisonnement. Aujourd'hui encore, les plus personnes privées d'odorat courent le risque de ne pas détecter une fuite de gaz ou de consommer des produits avariés. Les odeurs en elle même n'existent pas. C'est la forme même des molécules dissoutes dans l'eau du mucus de nos fosses nasales que nous détectons lorsque ces molécules entrent en contact avec celles de nos récepteurs. Ainsi, chaque odeur est une création virtuelle et particulière qui nous est propre. Pour un enfant de moins de cinq ans il n'y a pas de mauvaises odeurs. Alors que les souriceaux prennent la fuite en percevant une odeur de chat (sans jamais avoir croisé la route d’un félin de leur vie), il n’y aurait pas de consensus chez l’être humain, pas de bombe olfactive connue. Tout laisse à penser que les préférences olfactives découlent directement du vécu, y compris le vécu 'in utero', de chaque personne. Ainsi l’odeur de fromage est insupportable pour les Thaïlandais, alors qu’ils apprécient l’odeur des plats de poisson fermenté dont les senteurs font fuir les Occidentaux. Les odeurs ont la vie dure ainsi, le mammouth qu'on décongèle retrouve son odeur sui generis, un tombeau étrusque récemment découvert avait conservé l'odeur de l'encens pendant des millénaires. Les souvenirs olfactifs ont la peau dure est savent ressusciter le passé mieux que n'importe quel autre sens. La spécificité de l’olfaction réside dans son formidable pouvoir d’évocation. Ce phénomène est bien connu sous le nom de Syndrome de Proust, en référence à un passage de son roman A la recherche du temps perdu, dans lequel le goût d’une petite madeleine trempée dans son thé transporte le narrateur dans sa petite enfance. Véritables catalyseurs de souvenirs, les odeurs renvoient aux souvenirs des événements qui leur sont associés. Les sensations olfactives font ainsi revenir des souvenirs très anciens – souvent liés à la petite enfance et chargés d’émotions. Le plus surprenant est que cet exceptionnel pouvoir d’évocation s’accompagne d’une extrême difficulté à identifier et à décrire les odeurs. Tant un cube rouge est facile à décrire, autant l’odeur du frésia est difficile à exprimer… L’explication : "C’est tout simplement que les voies de l’olfaction ne sont pas connectées avec les centres du langage", rappelle Jean-Didier Vincent. La description d'un parfum, est donc résolument pifométrique et synestésique.
« Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants,
Mon parfum d'été : "Unum" de Lavs
Doux comme des hautbois, verts comme des prairies, Et d'autres, corrompus, riches et triomphants, Ayant l'expansion des choses infinies, Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens, Qui chantent les transports de l'esprit et des sens. » C. Baudelaire, Les Fleurs du mal, 1857. «Odeur de foin: diabète»; «De pain cuit: scarlatine»; «De musc: hépatite». La liste des odeurs associées à des maladies est longue, comme en témoigne une édition du Larousse médical du début du XXe siècle. En fait, cette pratique remonte au moins à l’Antiquité, lorsque médecins grecs et romains examinaient les humeurs du malade aussi bien avec leurs yeux qu’avec leur langue ou leurs narines. Mais par la suite, l’odorat a été négligé par rapport aux autres sens. Que de nos jours un médecin écoute le bruit de l’air pénétrant dans nos poumons, cela n’étonne personne. Mais qu’il tente d’établir un diagnostic en reniflant l’air expiré entraînerait une toute autre réaction! Vous même, n'avez vous pas déjà repéré l'odeur de la mort, particulière et tenace. Le parfum est rare, le parfum est précieux, le parfum est noble. Aux âges bibliques, le parfum réservé à Yahvé était interdit au peuple sous peine de bannissement. (Exode 30,34-37). Le roi Ozias lui même a appris à ses dépens le prix du parfum sacré : ".../...lorsqu' Ozias fut puissant, son coeur s'éleva pour le perdre. Il pécha contre l'Eternel, son Dieu: il entra dans le temple de l'Eternel pour brûler des parfums sur l'autel des parfums.Le sacrificateur Azaria entra après lui, avec quatre-vingts sacrificateurs de l'Eternel, hommes courageux, qui s'opposèrent au roi Ozias et lui dirent: Tu n'as pas le droit, Ozias, d'offrir des parfums à l'Eternel! Ce droit appartient aux sacrificateurs, fils d'Aaron, qui ont été consacrés pour les offrir. Sors du sanctuaire, car tu commets un péché! Et cela ne tournera pas à ton honneur devant l'Eternel Dieu. La colère s'empara d'Ozias, qui tenait un encensoir à la main. Et comme il s'irritait contre les sacrificateurs, la lèpre éclata sur son front, en présence des sacrificateurs, dans la maison de l'Eternel, près de l'autel des parfums.…" Bible Louis Segond. Chronique2-26. Poème : Le parfum (Charles Baudelaire)
Lecteur, as-tu quelquefois respiré Avec ivresse et lente gourmandise Ce grain d'encens qui remplit une église, Ou d'un sachet le musc invétéré ?
Charme profond, magique, dont nous grise Dans le présent le passé restauré ! Ainsi l'amant sur un corps adoré Du souvenir cueille la fleur exquise.
De ses cheveux élastiques et lourds, Vivant sachet, encensoir de l'alcôve, Une senteur montait, sauvage et fauve,
Et des habits, mousseline ou velours, Tout imprégnés de sa jeunesse pure, Se dégageait un parfum de fourrure. Romans :
Le Parfum, de Patrick Süskind : Jean-Baptiste Grenouille, le personnage central du roman, est né à Paris en 1738, au milieu des relents de la poissonnerie de sa mère. A travers une jeunesse misérable et une adolescence perturbée pendant lesquelles il s'ouvre au monde de l'odorat comme nul n'en est capable. Il ira même, à l'âge de quinze ans, jusqu'à tuer une jeune fille pour en posséder le sublime parfum. Après avoir développé son art de la parfumerie à Paris et rendu riche le propriétaire qui l'employait, Jean-Baptiste Grenouille traverse la France à pieds et atteint Grasse 7 ans plus tard. Seul durant tout ce temps, il est alors dégoûté des hommes et de leurs odeurs, et a même perdu la sienne! Enfin arrivé, Jean-Baptiste étudie à nouveau la parfumerie et l'art de capter les fragrances délicieuses qu'il trouve dans la nature. Et il va ainsi capturer les odeurs de nombre de jeunes filles innocentes qui seront aussi toutes assassinées...
L'Odeur, de Radhika JHA : C’est grâce à ce sens, particulièrement aiguisé chez elle, que la jeune fille, timide et révoltée, appréhende l’univers qui l’entoure : « En moins d’une minute, la pièce se remplit de l’odeur chaude de l’ail et du gingembre. Elle tissait à mes sens comme une couverture de velours et me plongeait dans une pesanteur et une langueur nouvelle. […] L’odeur de la bouillie d’épices me donnait faim et me comblait en même temps. […] »Lîla invente des recettes que lui souffle son instinct olfactif, communique avec les gens selon les effluves qu’ils dégagent et découvre le plaisir dans les bras d’un homme « qui sent le saucisson ». Pourtant, en dépit de ses dons culinaires, de sa beauté qui séduit toute la gent masculine, la jeune fille ne parvient pas à s’épanouir, car son nez délicat peut devenir son pire ennemi… Notamment lorsqu’il lui renvoie une odeur épouvantable qui se révèle être la sienne.
Il y a des choses que tous les êtres vivants connaissent et partagent, ce sont leurs déjections et leurs merdes. Même pour les végétaux, on peut considérer que la lignite qui sert de squelette aux arbres est un résidu, une forme d'excrément propre au règne végétal.
Pour le vivant les excréments sont un produit aussi vital que sensible car les excréments se situent à la frontière entre ce qui est 'public', et ce qui est intime voire sacré. En effet, nos traces, j'entends ici par 'traces' nos excréments et de la même façon nos écrits nos œuvres nos propriétés, sont publics, tandis que nos organes qui les produisent (système digestif, cerveau, bras) sont de l'ordre de l'intime, du secret, du sacré même. Notre fragile enveloppe, notre peau, qui est ce qui de notre personne vivante nous appartient, doit donc gérer ses productions, et les articuler avec les exigences du milieu, de la société qui l'entoure. Ainsi les animaux marquent leur territoire de leurs déjections, ou les cachent pour ne pas se faire repérer. Notre société a remplacé ces marqueurs primitifs par des titres de propriété. Quoiqu'il en soit, notre anatomie est notre destin. Manger bien et bien déféquer est naturellement un baromètre de bonne santé mais la gestion de nos excréments, à l'instar de celle de nos traces est une affaire commune qui engage les individus comme les sociétés. En fait, que l'on pense recyclage ou que l'on pense postérité, faire quelque chose de ce qui nous arrive et gérer nos traces nos résidus, est peut être bien la finalité même de nos existences.
Carolo. Sculpture en bouse de vache.
Plus prosaïquement, comme la plupart des animaux, les humains font des efforts pour fuir ou éloigner leurs déjections. Cette gestion des déchets, que nous partageons, a forcément un caractère politique et c'est donc la société qui a autorité pour décider où il est séant de chier. Apprendre les toilettes, comme nous l'avons tous fait, c'est apprendre à se soumettre à la société. Au XIXème siècle, lors de la révolution industrielle, les concentrations humaines dans les villes causent des problèmes d'hygiène publique. Des problèmes de puanteur d'abord, car les villes ne sont pas encore équipées de tout à l'égout, mais aussi des problèmes sanitaires. Ainsi l'épidémie de choléra de 1849 fit à Londres 5500 victimes. Avec les concentrations urbaines est donc venu le souci de cacher bruits matières et odeurs et surtout de les évacuer. Le principe même des toilettes modernes, c'est de cacher que l'on fait pipi caca et d'évacuer toute trace. En cas de problème, et d'odeurs, persistantes il existe d'ailleurs une solution, à essayer quand tout a foiré, la pilule qui supprime l'odeur des excréments.
Aujourd'hui un tiers de l'eau domestique sert à évacuer pisse et étrons, ce qui pose à l'humanité un problème écologique de portée planétaire. Comment dépolluer, recycler les eaux souillées, que faire des déchets, comment éviter les contaminations par les agents pathogènes, les hormones, les antibiotiques que véhiculent nos déchets ? Cuvettes bi-compartimentées, recyclage sous forme d'engrais pour l'agriculture, transformation des boues de retraitement en steaks protéinés, l'avenir est à la chasse aux chasses d'eau et au recyclage de nos déchets sous forme plus ou moins directement consommable.
Finalement, quoiqu'on ait pu ou qu'on puisse faire, il faut bien 'vivre avec nos merdes'. En résumé, la morale de l'histoire de la chasse d'eau, c'est que l'on ne résout jamais un problème, on le contente de le déplacer. Le déplacer de la chambre à la rue, de la rue à la chasse d'eau, de la chasse à la rivière, de la rivière à la station d'épuration. Pour être plus positif, on retrouve le principe de Lavoisier "rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme".
Ozias
Cloaca. machine à produire de la merde. Wim Delwoye.
Quelques chiffres : 12 millions de tonnes d'excréments humains chaque jour . En une vie nous déféquons en moyenne 6 tonnes d'excrément, ce qui occupe entre 6 mois et un an de notre vie. Chaque jour chacun de nous émet en moyenne 150g de merde et 1 litre de gaz.
Mots clé : merde, excrément, colombin, bronze, fèces, selles, bronze, déjections, étron, bouse, crotte, commission, caca,
Dans La Tentation de saint Antoine, Gustave Flaubert prête à Crepitus, Dieu romain des pets 'selon des sources monothéistes) , le discours mémorable suivant :
CREPITUS: Moi aussi l'on m'honora jadis. On me faisait des libations. Je fus un Dieu! L'Athénien me saluait comme un présage de fortune, tandis que le Romain dévot me maudissait les poings levés et que le pontife d'Égypte, s'abstenant de fèves, tremblait à ma voix et pâlissait à mon odeur. Quand le vinaigre militaire coulait sur les barbes non rasées, qu'on se régalait de glands, de pois et d'oignons crus et que le bouc en morceaux cuisait dans le beurre rance des pasteurs, sans souci du voisin, personne alors ne se gênait. Les nourritures solides faisaient les digestions retentissantes. Au soleil de la campagne, les hommes se soulageaient avec lenteur. J'ai eu mes jours d'orgueil. Le bon Aristophane me promena sur la scène, et l'empereur Claudius Drusus me fit asseoir à sa table. Dans les laticlaves des patriciens j'ai circulé majestueusement! Les vases d'or, comme des tympanons, résonnaient sous moi;--et quand plein de murènes, de truffes et de pâtés, l'intestin du maître se dégageait avec fracas, l'univers attentif apprenait que César avait dîné!
Quand le derrière ouvert, plein de gaz apaisants, Sent venir de la chambre un murmure lointain, Les mains d’une lueur comme un riche présent Sur le lit pose un cierge éclairant le divin.
La femme demande à l’homme de poser un baiser Dans le bas de son dos où l’air étreint la fleur Et pour donner au cœur une fièvre apaisée L’amour approche un nez de toute sa longueur.
La peur au ventre un bruit dans le profond silence, Sur l’oreiller le rire dérange l’indolence; En allée la lueur au cri d’un petit trou.
Le parfum sous les draps dégage le bouche-trou, La maîtresse en dehors de cette soudaine ivresse Elargit son sourire et redresse ses fesses.
Si les effets des drogues psychédéliques comme le cannabis, la psilocybine ou le LSD ont été largement étudiés et reconnus dans la musique ou la peinture, il n’en n’est pas de même pour les effets opiacés des drogues telles que la morphine ou l’héroïne. Ce post au sujet de la contribution de l’héroïne à la production artistique est inspiré d’un article de Geoff Bird et Andrew Hussey .Il ne s’agit pas ici de promouvoir ou d’encourager l’usage de ces substances, mais de voir quelle a été leur contribution à la vie artistique à Paris du siècle dernier à nos jours. Au XIXème siècle, de nombreux artistes ont utilisé l’opium afin de stimuler leur inspiration. Théophile Gauthier, Baudelaire, Eugène Delacroix, Gérard de Nerval se retrouvaient au club des haschichins, pour pratiquer le psychonautisme. Baudelaire, fut un fervent lecteur de Thomas de Quincey , et traduisit ses ‘confessions d’un mangeur d’opium’ (1821). L’opium ne procurait pas d’hallucinations, ni de visions à Baudelaire, mais l’opium le plongeait dans une méditation profonde, l’aidant à prendre du recul sur le monde et d’ainsi mieux le comprendre. « Les plaisirs de l’opium sont d’une nature grave et solennelle, et, dans son état le plus heureux, le mangeur d’opium ne peut pas se présenter avec le caractère de ‘l’allegro’ ; même alors il parle et pense comme il convient au ‘penseroso’. » (Allusion au poème descriptif de Milton L’Allegro l’homme joyeux, Le Penseroso : l’homme de réflexion). « L’opium agrandit ce qui n’a pas de bornes, allonge l’illimité, approfondit le temps, creuse la volupté et de plaisirs noirs et mornes remplit l’âme au-delà de sa capacité. »
Cette tradition parisienne de l'artiste toxicomane atteint des sommets dans les années 50 auprès des Jazzmen noirs américains venus à Paris pour fuir le racisme des USA de l’après-guerre. L’héroïne est alors très abondante à Paris. Elle est produite en Indochine puis acheminée via la Turquie et Marseille par la mafia corse connue sous le nom de french connexion. Ces musiciens amateurs d’héroïne et proches du mouvement beatnik, ont composé une musique détendue au son feutré, aux phrasés peu accentués : le « cool jazz ». Le trompettiste Chet Baker, quoique blanc, est particulièrement représentatif de cette esthétique du ‘cool’ mélancolique, délicat, fait de longues phrases sinueuses, sensuelles et vaporeuses.
Junkie, pornographe, situationniste, censuré, Alexander Trocchi aurait pu être l’un des héros majeurs des années 1960 – l’égal d’un Ginsberg ou d’un Burroughs, ces vieux types à la plume dégueulasse qui à l’époque fascinèrent les Dylan et McCartney tout en leur ouvrant les portes de la respectabilité « artistique » (celle qui se mesurait dans les librairies et les galeries, pas dans les hit-parades). Arrivé à Paris en 1950, en même temps que Chet Baker, Trochhi avouait sa passion pour l’héroïne . Il déclarait même qu’il avait décidé d’en faire sa carrière. Trocchi, situationniste connu et ami de Guy Debord considérait l’injection comme un acte de « nihilisme systématique » destiné à « seringuer délibérément le bouillon de l’expérience ». Voici comment il décrivait les effets de cette drogue: « la mescaline ou le LSD imposent à l’esprit des objets et des visions électrisantes tandis qu’avec l’héroïne la perception se tourne vers l’intérieur de soi, les paupières se baissent, et le sang prend conscience de lui-même ».
A Paris en 1975 six graphistes des beaux-arts créent le collectif Bazooka qui incarnera en France la mouvance punk et la culture underground. Le « commando graphique » Bazooka renouvelle les techniques (collages, cut-up) de la Beat Generation ou des bandes dessinées situationnistes. Voici ce qu’ils déclarent au sujet de l’influence de l’héroïne sur leurs travaux : “L’héroïne a été un précieux allié pour travailler des nuits entières, très concentré, avec une précision surprenante. Mais le principal intérêt de cette substance fut de nous anesthésier contre la dureté sociale et l’agressivité de nos détracteurs. Insensible aux critiques et aux interdits, tout était désormais permis, rien ne pouvait nous arrêter »
C'est peut être pourquoi les usagers d’opiacés constituent une menace dans notre société qui prône la vitesse et le mouvement. L’héroïne rend profondément introspectif et plutôt asocial. Au-delà du cliché du ‘sale junkie pourri’, l’un des principaux procès fait à l’héroïne c’est qu’elle efface le sens des responsabilités collectives, l’esprit de troupe. Les amateurs d’opiacés sont catégorisés comme des narcissiques autodestructeurs qui méritent blâme et déchéance. Pourtant la distance et la marginalité qu'entraînent ces drogues ont donné naissance à une esthétique sombre du détachement et du pouvoir singulier de dire « non ».
Donatien Alphonse François de Sade est un écrivain aristocrate et débauché qui a vécu de 1740 à 1814. A 38 ans, il est incarcéré pour une affaire de mœurs, il meurt emprisonné à Charenton 36 ans plus tard. Libertin, Sade ne joue jamais le jeu du libertinage. Ce qui l'intéresse vraiment, c'est la transgression et l'outrage.Il franchit les limites admises, suscite l'effroi, soulève l'indignation. Sade n'a jamais rien fait pour empêcher le scandale. Au contraire, il a toujours multiplié les provocations, les récidives. Lui même se décrivait ainsi "Impérieux, colère, emporté, extrême en tout, d'un dérèglement d'imagination sur les mœurs qui de la vie n'a eu son pareil, en deux mots me voilà; et encore un coup tuez moi ou prenez moi comme cela, car je ne changerai pas." Tant d'obstination et de fierté force le respect. Personnellement Sade me fait penser au personnage de Don Giovanni de l'opéra de Mozart. Don Giovanni et Sade sont deux héros prométhéens et déjà romantiques. deux ennemis publics méprisants, héroïques et en lutte contre les tabous et la société établie.
Sade le pervers, écrivain, explorateur de l'âme et héros de la libération, est aussi un prophète des temps modernes qui annonce la destruction de l'homme. Au XXème siècle la réalité des forfaits de Hitler ou Pol Pot a d'ailleurs égalé en horreur les pires récits de son dernier livre les "Cent vingt journées de Sodome". Parmi une multitude d'interprétations philosophiques de Sade voici l’originale approche de Christopher Lasch : "De bien des façons Sade s'est montré le plus clairvoyant et certainement le plus troublant des prophètes de l'individualisme révolutionnaire, en proclamant que la satisfaction illimitée de tous les appétits était l'aboutissement logique de la révolution dans les rapports de propriété .../..En régressant, dans ses écrits, jusqu'au niveau le plus primitif du fantasme, Sade est parvenu, d'une manière étrange, à entrevoir l'ensemble du développement ultérieur de la vie personnelle en régime capitaliste, qui s'achève, non sur la fraternité révolutionnaire, mais sur une société confraternelle qui a survécu à ses origines révolutionnaires et les a répudiées. Sade imaginait une utopie sexuelle où chacun avait le droit de posséder n'importe qui; des êtres humains, réduits à leurs organes sexuels, deviennent alors rigoureusement anonymes et interchangeables. La société idéale de Sade affirmait ainsi le principe capitaliste selon lequel hommes et femmes ne sont, en dernière analyse, que des objets d'échange. Sade fut probablement le premier à comprendre que dans une société qui réduirait la raison à un simple calcul, celle ci ne saurait imposer aucune limite à la poursuite du plaisir, ni à la satisfaction immédiate de n'importe quel désir, aussi pervers, fou, criminel, ou simplement immoral qu'il fût." Le systèmedans lequel nous vivons pose effectivement la raison en calcul. Ce système peut être qualifié de capitalisme libéral libertaire. 'Liberal' car notre ordre économique est fondé sur le mythe d'un Marché autorégulateur constituant une instance nécessaire et suffisante pour ordonner les profits de tous , le mouvement 'brownien' des individus rationnels et de leurs intérêts bien compris. ' Libertaire' car notre société, tout en étant répressive, prétend émanciper l'individu de tous les tabous historiques et culturels supposés faire obstacle à son fonctionnement comme 'pure machine désirante'. Je conclurai cette joyeuse masturbation intellectuelle, par cette belle expression du divin marquis "Ah foutredieu, je décharge" ! Ozias
PS: Sade et le libre arbitre Précurseur
de Nietzsche, le Marquis de Sade se posait la question: pourquoi
tient-on le meurtrier pour responsable (au sen moral) de son acte, et
pas la peste ou la famine , qui tuent aussi ? Après tout, le meurtrier
est déterminé à tuer par des causes multiples, dont il n'a pas
l'initiative, qu'il n'a pas choisies. La différence vient du fait,
explique Sade, qu'il est matériellement possible de s'emparer de la
personne du meurtrier - plus exactement de son corps- et de le faire
souffrir ou le tuer: " Nous ne pouvons ni rouer, ni brûler la peste
ou la famine, et nous pouvons faire l'un ou l'autre à l'homme: Voila
pourquoi il a tort. Nous le punissons parce-que nous en avons la
possibilité matérielle et ensuite seulement -par une monumentale
inversion-nous inventons une justification 'présentable' à ce désir de
vengeance : nous attribuons au coupable ce pouvoir exorbitant de se
soustraire aux déterminismes naturels; pouvoir que nous appelons
'liberté' ou 'libre arbitre'"(Justine ,III; Juliette ou les prospérités
du vice, X). C'est donc, selon Sade, la pratique de la punition(en
vérité issue du désir de vengeance), qui aurait accouché de la théorie
du libre-arbitre. Ce qui revient , comme l'on fait Spinoza, puis
Nietzsche, à dénoncer cette théorie comme illusion.
Sources: Sade , articles parus sur 'Le Point' Juillet 2009Christopher Lasch : La culture du narcissisme 1979Pour mieux connaître Sade, son oeuvre, un lien vers un entretien avec Annie Lebrun à propos de l'exposition d'Orsay, « Sade. Attaquer le soleil »