lundi 21 octobre 2019

S'informer sur l'actualité des drogues

"Punir pour soigner" 50 ans d'échec. Support don't punish !
"Drogues : le goût du défendu confère à la lueur d'une législation délirante un ténébreux attrait à ce qui n'a pourtant pas le moindre mystère."

Disclaimer: "La politique de réduction des risques et des dommages en direction des usagers de drogue vise à prévenir les dommages sanitaires, psychologiques et sociaux, la transmission des infections et la mortalité par surdose liés à la consommation de substances psychoactives ou classées comme stupéfiants." (loi Santé 2016).
L’auto-support des usagers existe même et surtout en dehors des parcours de soin labellisés et c'est dans ce sens que l'accès à ces sites d'informations permet de réduire le niveau de risque lié aux consommations. 
L’objectif n’est en aucun cas d’inciter à la consommation de produits psychoactifs illicites, mais de réduire les risques liés à l’usage par une meilleure connaissance des produits et des pratiques. 
Rappel : les drogues illicites, ne présentent pas toutes le même danger pour la santé, mais toutes exposent au risque judiciaire (jusqu’à un an d’emprisonnement pour en avoir consommé).

Et donc, où trouver de l'information fraîche et pertinente...

Détection des produits à risque

Voici quelques sites où cliquer pour trouver le dosage d'un TAZ, ou les résultats d'analyse d'un buvard. Bien utile pour fractionner ou choisir de gober... ou pas. 
Pour accéder au site, cliquer le nom du site écrit en bleu dans le texte.

Plus Belle la Nuit 2.0

Promotion de la santé en milieu festif. Présent sur les réseaux sociaux (FB), le fil d'actualité de PBLN publie les nouveautés relatives aux produits, aux pratiques ainsi que des alertes sur les produits surdosés ou frelatés.


Techno+ météo des prods

C'est la page du programme de Techno+. Propose une base de donnée des produits, mais la dernière mise à jour est de Juillet 2019.


Eurotox.org

Eurotox est un observatoire socio-épidémiologique alcool-drogues en Wallonie et à Bruxelles qui publie des alertes sur le dosage et le contenu des produits analysés.


Nuit Blanche.ch

Nuit Blanche est une action de réduction des risques qui informe les consommateurs sur les risques liés à la consommation de substances psychoactives. Tabac , alcool, substances de synthèses ou autres. On y trouve les dernières alertes des substances analysées. 

Sur portable Androïd on peut télécharger l'application KnownDrugs qui propose un catalogue des produits analysés en Europe.

Si tu n'as pas trouvé là, tu peux consulter d'autre sites étrangers (but not in french)

Espagne – energycontrol.org (espagnol) et energycontrol-international.org (anglais)

Autriche – checkyourdrugs.at

Pays de Galle – wedinos.org


NB: Bien sûr, chacun de ces sites propose bien plus d'informations que les catalogues des produits analysés.

ATTENTION !  Si une substance n’est pas référencée sur un site, cela ne veut en aucun cas dire qu’elle contient les substances attendues. Comme certaines substances circulent sur le marché avec le même logo et aspect, mais contiennent des dosages et des composants différents, les informations disponibles n’offrent aucune sécurité absolue pour évaluer la composition effective d’une pilule, poudre ou d’autres drogues

Forums Internet

Quelque sites d'auto-support des usagers, des forums d'échanges d'expériences et de pratiques, bref des mines d'or où tout n'est pas forcément à prendre au premier degré mais où il est possible de poser sa question comme de profiter des réponses à ceux qui l'ont posée avant nous.


Psychoactif

Psychoactif est un forum en ligne qui se définit comme un "espace solidaire entre consommateurs de substances psychoactive et ceux qui les aiment". Sans doute LE SITE de référence en France. Très calé et très interactif, mon favori en tout cas. Pour faire une recherche, cliquer sur la loupe verte en haut à droite de l'écran.

Psychonaut

Psychonaut.fr est une communauté d'autosupport francophone dédiée à l'information et à la réduction des risques sur l'usage des substances psychoactives.

Erowid

Erowid, est sans doute THE REFERENCE mondiale. Hélas l'intégralité du site est en anglais !


Revues

Elles existent sous format papier, mais on peut aussi les consulter en ligne. Écrites par des usagers ou par des professionnels du secteur, elles proposent des articles pointus autour de problématiques spécifiques.


SWAPS

La revue Swaps propose à tous les professionnels engagés dans la réduction des risques – médecins, pharmaciens, travailleurs sociaux, responsables de centres d’accueil et de soins spécialisés – un journal centré sur la Santé, la Réduction des Risques et les Usages de drogues. On y trouve des articles de fond sur des sujets pointus. Une référence.

ASUD    

La revue ASUD-Journal est édité par l'association ASUD, agrée pour représenter les usagers dans les instances publiques. C'est une revue française de référence qui travaille par dossiers (injection, sécurité routière, etc...) Malheureusement son dernier numéro remonte à mai 2018. Il n'empêche que les 61 numéros parus constituent par la variété des thèmes qu'ils traitent, une indispensable référence. 


Revue le Flyer:

Revue professionnelle d'information scientifique et pratique sur les traitements de substitution et les addictions. Le Flyer est également présent sur Facebook dans une forme plus généraliste.


L'injecteur

L'Injecteur est un journal québécois PAR et POUR les personnes UD (Utilisatrices de Drogues). Son objectif est de réduire les méfaits reliés à la consommation de drogues, de promouvoir de saines habitudes de vie et d’augmenter la qualité de vie des personnes UD et de leur entourage. Le site est toujours consultable, même si les derniers numéros sont un peu datés.

Etudes et documents généralistes 

Le site de Anne Coppel est une mine d'information dans le champ de l'histoire et des politiques des drogues ainsi que sur la Réduction des Risques 

http://www.annecoppel.fr/

Talkingdrugs est une plateforme dédiée à l'actualité des politiques de contrôle des drogues et la réduction des risques dans le monde. Possibilité de trier l'info par thème ou par zone géographique. 


Drugbank

Un site très pointu qui vous apporter des infos techniques sur vos molécules favorites. En anglais.

Le point SINTES

Le SINTES est un labo qui analyse des échantillons de drogues publie chaque année une synthèse de ses résultats. Particulièrement intéressant pour suivre le taux de pureté moyen  des produits, les produits de coupe utilisés ainsi que les nouveaux produits apparus sur le marché. Autrement dit, c'est un peu l'observatoire des arnaques, mais avec effet retard.


Merci de vos commentaires et de me signaler toute source incontournable que j'aurais pu oublier.

tchuss !
Ozias


dimanche 6 octobre 2019

Encore des corps (2)

Chloé Rosser
Chloé Rosser
Chloé Rosser

Berlinde de Bruyckere

Berlinde de Bruyckere

Berlinde de Bruyckere


Louise Dumont
Louise Dumont

Louise Dumont

Danny Eastwood

Danny Eastwood
Javier Rey

Javier Rey

Yung Cheng
Yung Cheng

Yung Cheng
Joan Semmel

Joan Semmel
Shai Langen
 
Shai Langen


Ashet Levin

Brooke Didonato

Brooke Didonato


Monica Piloni

Monica Piloni

Jennifer B.Thoresen (Testament)

Jennifer B.Thoresen (Testament)

mardi 17 septembre 2019

les irremplaçables

Howard Lefthand
Cynthia Fleury est philosophe et psychanalyste. Pas étonnant donc que son dernier livre  'Les irremplaçables'  se place à la croisée de l'intime et du politique.  'Les irremplaçables'  raconte comment le pouvoir et ses systèmes d'évaluation s'y prend pour nous “exproprier de notre propre expérience”. Dans son livre Cynthia Fleury définit l'individuation, comme le tissage des liens que l'individu établit avec le réel. Pour l'auteur, l'irremplaçabilité n'est  autre que la porte d'entrée du réel. Le pouvoir, lui cherche à détruire les capacités d'individuation de chaque individu ou plutôt de nous faire croire que notre individuation nécessite un strict individualisme.
La première partie du livre étudie et définit l'individuation et l'irremplaçabilité. La seconde pose la question de la légitimité de l'exercice du pouvoir et des conditions de son maintien tandis que le dernier chapitre (en cours de lecture) traite de l’éducation.
Les analyses du pouvoir, qui occupent le cœur du livre,  sont particulièrement pertinentes et subversives. Exemples et extraits "Si l'exploitation capitaliste génère si peu de révoltes, c'est parce qu'elle capte, plus encore que les richesses, l'attention des individus. Les individus sont distraits, divertis au sens pascalien. Ils sont pleinement occupés à ne pas penser car la non pensée est une jouissance. Si les sujets ne sont pas dans la lutte, c'est qu'ils n'ont pas le temps de la mener."(p103).

Cynthia Fleury démonte la dé-verbalisation orwellienne du langage 'Les acronymes, les mots amputés permettent "d'économiser du temps" : Parler plus vite pour ne pas penser ce que l'on dit' .../... 'Le fascisme n'est pas d'empêcher de dire, c'est d'obliger à dire'. Elle décortique la condition du courtisan dans laquelle le pouvoir enferme chacun d'entre nous. "Aujourd'hui la cour s'est indifféremment agrandie aux champs professionnels, privé ou culturel. Il n'est pas demandé à l'individu d'être le courtisan d'hier . Il faut être quelqu'un, et être flexible. Donner l'apparence du nom et de l'irremplaçable, mais bien veiller également à être remplaçable pour éviter d'être taxé de rigidité pathologique. .../... La vérité ancestrale de la cour reprend la main dans le champ actuel du capitalisme : n'être quelqu'un qu'à la condition d'être au service de l'autre, l’intéresser au sens où l'on fait siens ses intérêts, soi même croyant protéger ainsi ses propres intérêts, et dans le piteux calcul, y perdre le peu de de soi qui reste, et le peu de (lien à) l'autre dont l'altérité n'a jamais fait sens ni joie. Cynthia Fleury s'attaque aussi au système d'évaluation qu'elle compare au pénitencier Panopticon de Bentham : l'individu enfermé seul au milieu de tous les autres sous le regard du pouvoir invisible qui le contrôle." L'idéologie de l'évaluation est une forme de continuation du panoptique. Celle qui s'affiche sous la bannière de l'égalitarisme et de la méritocratie est en fait l'opposé du paradigme de l'émancipation." (p136). Voir à ce sujet l'article suivant : http://emagicworkshop.blogspot.fr/2015/11/evaluations.html

Les Irremplaçables est un ouvrage de réflexion accessible et salutaire dans notre "monde social où la passion pour le pouvoir prévaut comme s'il était le nom du réel".
Je vous souhaite de trouver le trouver le temps de le lire.
'Sapere aude' ! 
(ose penser !)

Ozias

(Lecture novembre 2015)
Pénitencier Panoptique

mercredi 11 septembre 2019

Ne travaillez jamais

Gut Debord, 1953
"Ne travaillez jamais", le slogan situationniste de Guy Debord est aussi le titre d'une analyse marxienne consacrée au caractère fétichiste du travail dans la société capitaliste.
Son auteur, Alastair Hemmens, faisant référence aux travaux de penseurs français comme Fourier, Lafargue, Breton ou Debord, montre que le travail n'est pas une "nécessite naturelle" trans-historique mais une réalité sociale imposée historiquement.

Alastair Hemmens constate tout d'abord que le 'travail-production' source de toute valeur économique ne constitue qu'une partie de l'ensemble de l'activité sociale humaine. Par exemple, la garde des enfants, l’approvisionnement et l'entretien du foyer, ne sont pas considérés comme du travail, dans la mesure où il n'existe ni contrat, ni salaire bien que la valeur d'usage de ces services soit incontestable.  
'Pour Marx, le travail n’est pas un fait neutre propre à toute vie sociale, pas plus que l’industrie moderne n’est une étape inévitable de l’évolution humaine, mais plutôt une forme sociale historiquement spécifique qui jette les bases d’un processus de domination impersonnelle, abstraite et sans sujet, qui donne à la réalité phénoménologique un caractère historique « directionnellement dynamique ». Le travail, en tant que tel, est essentiellement une sorte de médiation sociale qui ne constitue la base de l’être social que dans le capitalisme, structurant à la fois des pratiques historiques déterminées et des formes quasi objectives de pensée, de culture, de visions du monde et d’inclinations. Le travail, dans la sphère limitée de la modernité capitaliste, médiatise et façonne donc l’ensemble de la réalité objective et subjective (et même dépasse et explique forcément de telles dichotomies théoriques)'.

Le travail n'est pas une catégorie neutre, positive et universelle de l'activité humaine comme parler ou respirer. Le travail, dans notre société moderne est devenu une forme sociale totalitaire, négative, fétichiste et destructrice qui dégrade et avilit tout ce qui n'est pas considéré comme 'productif'. Le travail fait obstacle au développement d'une existence créative et riche de sens.

"Ne travaillez jamais" est aussi une réflexion critique des fondamentaux de l'économie que sont l'argent, le travail, la marchandise. 
Selon les économistes classiques (Adam Smith, David Riccardo), le travail, l'activité humaine, forme la valeur des produits (valeur marchande, valeur d'échange). Cette définition de la valeur s'oppose à celle des physiocrates pour qui la valeur est liée à l'utilité du produit (valeur d'usage).  Marx attribue la valeur d'un bien à la quantité d'activité humaine nécessaire à sa réalisation, qui accompagne la marchandise comme une espèce d'ombre, mais il considère aussi la valeur marchande d'un produit comme une fiction sociale faite de rapports sociaux. La valeur d'une marchandise est égale au montant du travail social qui la produit. La valeur du produit est donc un critère quantitatif indifférent aux besoins des producteurs et des consommateurs. La question classique du partage de la valeur entre capitaliste et travailleur se double ici de la critique du fétichisme de la marchandise, ou critique de la valeur (Wertkritik). 

Le travail abstrait se définit comme le temps de travail socialement nécessaire pour créer de la valeur. Pour différencier travail abstrait et travail concret, on peut prendre l'exemple de travailleurs indiens, qui en travaillant toute une journée pour 2$ (travail concret) créent moins de valeur qu'un travailleur high-tech occidental en 2 heures pour 200$. Le travail abstrait, qui n'est pas spécifique à une tâche ni à un exécutant, est la quantité de travail incarnée dans un bien et nécessaire à la création de la valeur (ex 100€ qui deviennent 115€). On pourrait dire que le travail abstrait est le hardware de la création de valeur.
'C'est l'indifférence de ce travail pour tout contenu et pour toute conséquence, et sa séparation par rapport au reste de la vie qui constitue son potentiel destructif' (p11). 
*'Dans le fétichisme de la marchandise - qui est inséparable de la société capitaliste elle même et ne disparaîtra qu’avec elle -, le côté concret des produits, des travaux et finalement de toute manifestation de la vie humaine se voit placé au deuxième rang, derrière le côté « quantitatif ». Le côté concret n’est que le « porteur », la « représentation », « l’incarnation » d’une substance invisible, abstraite et toujours égale : le travail réduit à sa seule dimension temporelle.Tous les acteurs ne font qu’exécuter des lois qui se sont créées « dans leur dos ». Le marché fera cesser la production de jouets et privilégiera la production de bombes, si cela donne plus de profit, sans prendre en compte leur côté « concret » et ses conséquences. En effet, la logique fétichiste fait abstraction de la différence concrète entre la bombe et le jouet ; elle ne compare que deux quantités de travail abstrait. Si un capitaliste, par scrupule, se refusait à cette logique, il serait rapidement éliminé du marché. Les marchandises « sensibles » (concrètes) sont assujetties à leur invisible nature « suprasensible », donnée par le travail abstrait'.

De plus, en remplaçant le travail vivant par des machines, le capitalisme a créé une crise historique du travail en même temps qu'il a diminué la création de valeur. 'Depuis plus de deux cents ans, la logique capitaliste tend à "scier la branche sur laquelle elle est assise", parce que la concurrence pousse à l’emploi de technologies remplaçant le travail vivant : cela comporte un avantage immédiat pour le capital particulier, mais diminue d’autant la production de valeur, de survaleur (plus-value) et de profit à l’échelle globale, mettant ainsi en difficulté la reproduction du système'. La financiarisation de notre économie n'est qu'une conséquence de la mécanisation de la production, une fuite en avant dans le sens unique d'une croissance garante de l'équilibre social par le biais de la promesse du partage. La croissance est indispensable au système, comme le fétichisme de la marchandise et l'accumulation de valeur sont indispensables à la croissance. La domination du capitalisme se présente alors sous son aspect fétichiste et anonyme, systémique. 
Bref, ce système va structurellement dans le mur de l'épuisement humain et environnemental et il est bon que les sujets automates que nous sommes devenus sachent en prendre conscience.

Ozias, à l'écoute de vos commentaires

* Enselm Jappe 'Le fétichisme de la marchandise'

A lire aussi
https://iaata.info/Ne-travaillez-jamais-Rencontre-avec-Alastair-Hemmens-et-les-Editions-Crise-et-3567.html https://lejournal.cnrs.fr/articles/six-scenarios-dun-monde-sans-travail
http://data.over-blog-kiwi.com/1/48/88/48/20190619/ob_d0e2a0_theorie-marxienne-et-critique-du-trav.pdf
http://www.palim-psao.fr/2018/08/quelques-points-essentiels-de-la-critique-de-la-valeur-par-anselm-jappe.html


A écouter, une interview de Alastair Hemmens
https://soundcloud.com/liberte-sur-paroles/penser-un-monde-sans-travail?fbclid=IwAR00zu1IY6wFNK-7e0U1xIF103R0Q5mhne5r2JVo1pTgxexOTj21wLM8BHc

Et sur France Culture tout sur la biographie de Marx et la création de la valeur

dimanche 18 août 2019

Techno et Transe

Château Perché 2019 (Photo Ozias)
Un article trouvé sur Traxmag que je vous propose tel quel car je le trouve très juste :

Si on parle souvent de transe pour qualifier un set ou un morceau, est-il possible de connaître une expérience spirituelle en écoutant de la techno (au sens large) ? Ouvre-t-elle des portes mentales et si oui, où mènent-elles ? Nous sommes partis à la rencontre de psychanalystes, musicothérapeutes, hypnothérapeutes et même une chamane pour crocheter les portes de la perception.

Par Michael Pécot-Kleiner


On appelle ça communément "une perche". Le jour se lève et ça fait maintenant un paquet d'heures que je suis en train de danser devant les caissons de ce sound-system. Corps et esprits hypnotisés, l'équivalent d'une pharmacie dans le porte-pipe, mes coordonnées spatio-temporelles sont en vrac. Des visions existentielles remontent à la surface. Les nœuds se défont. Je rouvre les yeux : à côté de moi, d'autres ont également réservé leur billet pour l’Interzone...

Cette expérience maintes fois répétée – de mes premières free parties au milieu des 90’s aux afters actuels en banlieue parisienne – m'a toujours fait sentir qu'il y avait dans la musique électronique une puissance supérieure au simple consumérisme « hédoniste ». Une puissance presque mystique, qui permet de se reconnecter à un ailleurs encore mal déterminé. Une puissance qui confine à l'état de transe, qui n'est pas sans rappeler les rituels sacrés des peuples premiers. La question se pose dès lors : les teufs techno sont-elles une résurgence de ces cérémonies collectives, qui paraît-il, sont vieilles comme le monde ? Plus pertinemment : dans nos sociétés hypermatérialistes, offrent-elles la possibilité d'une transe moderne ?



La transe comme passage

Revenu sur Terre, il est temps de se documenter. Si tout le monde utilise le mot "transe", en réalité, je ne sais pas exactement ce qu'il signifie, ni ce qu'il décrit. Le bouquin de Georges Lapassade (La Transe, 1990) m'aide à y voir plus clair. J'y apprends qu'étymologiquement, "transe" vient du latin transire, qui signifie "passer". Plus précisément, passer d'un état à un autre, d'un état "normal" à un état "second". Ce que je capte sans trop de mal.


« Quelles que soient la latitude ou l'époque, l'être humain éprouve le besoin de se relier – par l'induction de drogues, de danse et de musique répétitive – à des réalités différentes. »


Ces états seconds, redéfinis par les psychologues américains dans les années 60 comme "états modifiés de conscience", se caractérisent par un changement qualitatif de la conscience ordinaire, de la perception de l'espace et du temps, de l'image du corps et de l'identité personnelle. Ce changement suppose une rupture, produite par une induction. Historiquement, ce phénomène – aussi bien psychologique que social – a semble- t-il toujours été là : on le retrouve dans les Dionysies de la Grèce antique, où les Ménades (prêtresses de Dionysos) célébraient leur dieu en se cartonnant avec du vin coupé à l'amanite tue-mouches ; les cérémonies, vieilles de plus de 2 000 ans, des Indiens d'Amazonie, qui communiquent avec les esprits en buvant du yagé/ayahuasca ; les rites ancestraux des chamans de Sibérie ; les danses thérapeutiques et extatiques de l'Inde, etc.. Bref, quelles que soient la latitude ou l'époque, l'être humain éprouve le besoin de se relier – par l'induction de drogues, de danse et de musique répétitive – à des réalités différentes. Mais en quoi, justement, la techno et ses orgies (et là je parle de la vraie techno, la pure, la magique, celle jouée dans des espaces libres, et non la soupe commerciale de "discothèque") peuvent-elles constituer un passage vers ces dimensions autres ?

Un retour au stade fœtal


« La techno provoque l'état de transe par l'essence même de sa construction : un premier rythme simple et confortable, puis l'arrivée d'autres rythmes et/ou sons plus élaborés qui se superposent. Le cerveau ne parvient plus parfaitement à trier, ce qui provoque une sorte d'ivresse. »


Je me souviens, un soir de redescente, être tombé par hasard sur un docu fort intéressant appelé Free party, en deçà du bien et du mal. Dans ce documentaire datant de 2003 et signé Pascal Signolet, la psychanalyste freudienne Charlotte Herfray y décrypte la musique techno (et ici plus particulièrement la tribe) comme une possibilité de revenir à un temps anténatal : pour elle, la pulsation répétitive des basses évoque les battements du cœur maternel et renvoie directement aux sons entendus lorsque nous étions au stade fœtal. Cette ultime régression permet ainsi un lâcher-prise efficace avec le monde "quotidien" et constitue le terrain idéal d'une transe hypnotique.

Suivant cette piste, je contacte le musicothérapeute Loup Bosh y Palmer afin d’approfondir cette hypothèse. « La techno provoque l'état de transe par l'essence même de sa construction : elle est souvent composée d'un premier rythme simple et confortable dans lequel on s'installe comme dans un cocon, explique-t-il. Puis cette construction progresse vers une complexification avec l'arrivée d'autres rythmes et/ou sons fluides plus élaborés qui, au lieu de résonner par les harmoniques, se superposent de manière isolée. En conséquence, le cerveau reçoit pas mal d'informations sonores qu'il ne parvient plus parfaitement à trier, ce qui provoque une sorte d'ivresse. Enfin, la pulsation de base reste comme un fil conducteur qui nous rattache à la réalité. Ce qui nous permet de savoir que l'on est “ailleurs” car on aperçoit (de loin) cette première réalité de départ. » Et de conclure en approuvant la théorie de Charlotte Herfray : « La techno joue en effet avec des types de sons que l'on découvre au stade embryonnaire, l'oreille étant le premier sens à se développer. C'est pourquoi on peut lui trouver quelque chose de primal, d'hypnotique. »



De l’autre côté du miroir


La techno est donc une clé, mais vers quoi nous mène-t-elle ? Qu’y a-t-il de l'autre côté de la porte ? Le rendez-vous est pris avec Corine Sombrun, ancienne reporter pour la BBC, auteure de nombreux livres sur le chamanisme, elle-même devenue chamane après une initiation de plus huit ans aux frontières de la Sibérie. Fait remarquable : elle contribue depuis onze ans à l'avancée de la recherche sur les états de conscience modifiée en neurosciences, en collaborant avec l’Inserm et l'Alberta Hospital au Canada. Personne ne me semble mieux placée pour faire avancer mon enquête que cette experte de la transe.

Toute juste revenue d'Alaska, je la rencontre dans un petit bar à Pigalle. Je décide de lui montrer deux vidéos illustrant la transe propre à la techno. La première se déroule lors d'un lever de soleil au Boom Festival en 2014, la seconde au Shambala en 2008. En visionnant ensemble ces corps extasiés par les produits et les heures de danse, je lui demande s'il existe des similitudes avec les rituels chamaniques traditionnels. Pour elle, pas de doute, « il y a la même utilisation de la musique pour provoquer un état qui va permettre de se sentir plus "grand que soi". De sortir du "je". Du coup, on a cette notion d'ego qui fond un peu, et on se sent plus reliés. On prend donc le plaisir de danser ensemble et d'arriver dans cet état qui fait que 1/ on se sent moins limité, et 2/ on est en connexion avec les autres. »



« Quand on entre en transe, il y a comme un shift entre les deux hémisphères de notre cerveau. On devient plus perceptif. Il y a quelque chose de sain là-dedans. »


Mais, très concrètement, que se passe-t-il dans nos cerveaux à ce moment-là ? « Il y a comme un shift entre les deux hémisphères. Habituellement, c'est le cerveau gauche (la pensée analytique, ndlr) qui l’emporte sur le droit (émotion, perception, intuition, ndlr). Dans ces états-là, c'est l'inverse. Du coup, l'interface cérébrale filtre les informations d'une manière différente. On est dès lors plus perceptif. Le corps, quant à lui, peut rentrer dans des processus mettant en place des réponses et des systèmes de régulation que lui seul connaît. Tu vas te mettre à faire un geste plutôt qu'un autre, un cri plutôt qu'un autre. Et ces gestes, ces cris, tu ne les décides pas. C'est notre corps, son intelligence, qui les génère. Ça doit probablement libérer des processus d'auto-guérison, de réparation, des processus que l'on ne connaît pas encore aujourd'hui. Il y a quelque chose de sain là-dedans. »

Cependant, les similitudes s'arrêtent là. Corine Sombrun m'apprend que cette "transe techno" ne constitue en réalité qu'une première étape, une condition de possibilité à la transe chamanique. Que cette dernière est le fruit d'un long travail d'initiation, de discipline, d'apprentissage, afin de parvenir à des niveaux de perception plus élaborés. Et surtout, dans la transe chamanique, « il y a toujours un but. Et le but, dans les tribus sibériennes, ce n'est pas de danser, c'est d'obtenir des réponses qui vont être utiles à la communauté. »



La transe moderne n’a pas de tête


Sans réelle intention, non codifiée socialement, non encadrée par un enseignement spirituel, la transe techno est chaotique. Elle est une ébauche, un brouillon, un poulet sans tête. Une transe sauvage, en somme. Mais ne gagne-t-elle pas par là quelque chose d'autre ? Un nouveau point de vue vient prolonger mes recherches, celui de Dominique Padoux, médecin psychiatre, hypnothérapeute, influencé par le très incisif psychanalyste François Roustang et grand connaisseur en matière de psychonautisme. Selon lui, justement, c'est le fait de ne pas avoir de but qui confère à cette transe toute sa modernité : « Une transe qui désigne officiellement un objectif et qui a déjà constitué le système d'interprétation qui va permettre de dire que si l’on a vu telle chose, ça veut dire telle autre, pour moi, c'est illusoire. Pourquoi ? Parce que nous sommes, et depuis un moment déjà, TOUS des déracinés. Nous n'avons plus de tête. Alors essayer de s'en greffer une autre, une tête de chaman péruvien, c'est une illusion. Pour moi, la transe moderne est plus féconde précisément parce qu'elle n'a pas de tête, et qu'elle laisse chacun totalement libre de ce qu'il va lui arriver, de ce qu'il va en faire. Le principal, pour moi, est l'expérience de la ressaisie de son individualité essentielle en même temps que le rafraîchissement de cette expérience que nous faisons partie du monde. Et ça, s'il n'y a que ça, sans aucune vision, sans rien d’autre, c'est déjà colossal. »

Comparant la musique techno à la voix de l'hypnothérapeute, Dominique Padoux qualifie l'émerveillement de la transe de découverte de soi-même comme « totalement non conditionné ». Et l'accepter, « ça change le rapport au monde. Ça dénoue. Ça crée une sensation de décrispation générale par rapport à tout ce qui fait souffrir. » Enfin, quand je le questionne sur la juste manière de décoder son voyage, la réponse est lapidaire : « Il n'y en a pas, et personne ne pourra le faire à votre place. Les clés, elles sont en vous. »

Ni religion, ni spiritualité, la transe "techno", bordélique et bancale à souhait, offre donc à sa manière une ouverture, grâce à sa capacité magique à nous relier avec un inconnu, qui finalement, n'est pas si éloigné de nous. Un seul mot de désordre : expérimentez.